La puberté normale
: 13 cm de différence entre fille et garçon
Les caractères
sexuels apparaissent en moyenne à 11, 5 ans chez
la fille et à 12,5 ans chez le garçon.
Le premier signe est le bourgeon mammaire chez la fille,
l'augmentation du volume des testicules chez le garçon.
Les listrogènes ont un rôle majeur dans
la maturation osseuse, et ce dans les deux sexes.
Pr Raja BRAUNER, université
René-[Descartes et AP-HP, service d'endocrinologie
et croissance, pédiatrie P7, hôpital Necker
Enfants-Malades, Paris (mai 2000)
Quel est le gain statural
observé à la puberté ?
Le gain statural annuel passe de 5 cm avant la puberté
à 7 à 9 cm durant le pic de croissance
pubertaire. L'âge moyen à la survenue de
ce pic est de 12 ans chez la fille et de 14 ans chez
le garçon. Le nombre total moyen de centimètres
pris entre le début de l'accélération
staturale pubertaire et la taille adulte est de 25 cm
chez la fille et de 28 cm chez le garçon. Il
représente 16%(11 à21 %)de la taille adulte.
Le nombre total moyen de centimètres pris entre
la première menstruation et la taille adulte
est de 7 cm lorsque la première menstruation
survient à 13 ans. Il varie de 3 à 14cm
et il est d'autant plus grand que les premières
menstruations surviennent plus tôt.
L' évaluation du développement
des caractères sexuels et du volume des testicules
ainsi que le suivi de la courbe de croissance staturo-pondérale
font partie de l'examen clinique de l'enfant et de l'adolescent.
La puberté s'exprime sur le plan clinique par
un développement des caractères sexuels
et par une accélération de la vitesse
de croissance staturale. Elle conduit à l'acquisition
des fonctions de reproduction.Etapes de l'activation
pubertaire
Le phénomène initiateur de la puberté
est mal compris. Le début de la puberté
est secondaire à une activation et/ou à
une dés inhibition de l'hypothalamus. Cela induit
des activations successives de l'antéhypophyse,
des gonades puis des tissus cibles périphériques.
Des phénomènes de rétrocontrôle
existent entre chacune des étapes.
L'hypothalamus sécrète
de manière pulsatile de la « luteinizing
hormone-releasing hormone» (LH-RH, appelée
aussi LRF ou GnRH).
L'augmentation de LH-RH induit une augmentation de la
sécrétion de gonadotrophines («
luteinizing hormone>> [LH] et « folliculo-stimulating
hormone» [FSH] ) par l'antéhypophyse et
des changements de leur pulsatilité. Les gonadotrophines
sont sécrétées de manière
pulsatile. Le début de la puberté correspond
à une amplification du rythme circadien des gonadotrophines
et en particulier de la LH. La réponse des gonadotrophines
au test à la LH-RH se modifie avec une réponse
prédominante de la LH par rapport à la
FSH. Le rapport entre pic de LH el pic de FSH est un
bon indicateur du niveau d'activation hypothalamo-hypophysaire
: il est contemporain d'une puberté en cours
s'il est supérieur à 0,6 chez la fille
et à 2 chez le garçon.
L'augmentation de la sécrétion
de LH et de FSH induit un développement des gonades.
Chez le garçon, l'augmentation de FSH induit
un développement des tubes séminifères
et l'augmentation de LH induit une stimulation des cellules
de Leydig et une augmentation de la testostérone.
Ainsi, les gonades augmentent leur sécrétion
de stéroïdes sexuels, testostérone
par les testicules chez le garçon et estradiol
puis progestérone par les ovaires chez la fille.
Ce phénomène est appelé «
gonadarche».
Les surrénales interviennent dans le développement
de la pilosité sexuelle en augmentant leur sécrétion
de déhydro-épiandrostérone (DHA).
Ce phénomène appelé << adrénarche»
débute avant la « gonadarche» vers
l'âge de 8 ans chez la fille et de 10 an~ chez
le garçon. IL est probablement contrôlé
par un facteur central, différent de LH, d~ FSH
et de l'hormone antéhypophysaire qu contrôle
la sécrétion de cortisol (ACTH).
Les modifications hormonales qui surviennent
à la puberté sont : un changement de 1a
réponse des gonadotrophines au test à
la LH RH avec apparition d'un pic de LH supérieur
au pic de FSH et une augmentation de 1` concentration
plasmatique de testostérone chez le garçon,
et de l'estradiol puis de la progestérone en
phase lutéale chez la fille. La puberté
normale est évaluée sur la clinique. Les
dosages biologiques ne sont nécessaires que dans
les situations pathologiques.
Développement des caractères
sexuels
Les caractères sexuels apparaissent dans 95 %
des cas entre 8 et 13 ans (moyenne 11,5 ans) chez la
fille et entre 9 et 14 ans (moyenne 12,5 ans) chez le
garçon. Le développement des caractères
sexuels secondaires est coté de 1 à 5,
le stade 1 correspondant à l'aspect pré
pubère et le stade 5 au développement
complet adulte. Il y a des variations de l'âge
du début de la puberté d'un enfant à
l'autre, mais la séquence d'apparition des caractères
sexuels secondaires est en règle générale
respectée. Chez la fille, le premier signe est
le développement d'un bourgeon mammaire accompagné
ou suivi de l'apparition d'une pilosité pubienne.
La pilosité axillaire apparaît
12 à 18 mois plus tard. L'intervalle moyen entre
le début du développement des seins et
la survenue des premières règles est de
2,2 ans. Celles-ci deviennent cycliques après
1 à 2 ans et les premiers cycles sont anovulatoires.
Chez le garçon, le signe qui indique le démarrage
pubertaire est l'augmentation du volume des testicules.
Elle témoigne du développement des tubes
séminifères.
Les testicules pré pubères
mesurent environ 2 cm par 1 cm et des dimensions testiculaires
supérieures à 3 cm par 2 cm indiquent
une activation de l'axe hypothalamo-hypophysotesticulaire.
La sécrétion de testostérone contribue,
avec les hormones surrénaliennes, au développement
de la pilosité sexuelle. Elle induit une augmentation
des dimensions de la verge, des érections et
une mue de la voix. Il est fréquent d'observer,
au cours de la puberté, une intumescence mammaire
appelée gynécomastie. Celle-ci, parfois
douloureuse, est le plus souvent transitoire.
Croissance pubertaire
La vitesse de croissance staturale s'accélère
à la puberté. La différence de
taille adulte est de 13 cm entre les garçons
et les filles. Cette différence vient essentiellement
du fait que le pic de croissance pubertaire survient
plus tôt et est moins ample chez la fille que
chez le garçon. La taille adulte est atteinte
en moyenne à 16 ans chez la fille et à
18 an chez le garçon. La taille adulte résulte
de l'équilibre entre deux processus au niveau
des cartilages de croissance, croissance et maturation,
aboutissant à leur fermeture par fusion épiphysaire.
Les Ïstrogènes ont un rôle majeur
dans la maturation osseuse et ce dans les deux sexes.
Trois hormones augmentent à
la puberté : le stéroïdes sexuels,
l'hormone de croissanc (GH) et « insulin like
growth factor I» (IGFI) Le rôle respectif
et la séquence d'intervention des stéroides
sexuels, de GH et de IGFI dans l'accélération
de la vitesse de croissance à la puberté
ne sont pas encore clairs.
L'âge osseux correspond pour
un individu à l'âge réel de la majorité
des individus de son sexe qui ont la même maturation
squelettique. Pour le déterminer, la méthode
la plus utilisée est celle de Greulich et Pyle.
Elle utilise la radiographie de la main et du poignet
gauches de face (un seul cliché). L'apparition
de l'os sésamoïde du pouce est un repère
commode car elle est en général contemporaine
du début de la puberté; elle correspond
à un âge osseux de 11 ans chez la fille
et d 13 ans chez le garçon. La prédiction
de taill adulte se calcule, pour un enfant donné,
à partir de sa taille et de son âge osseux.
La méthode la plus utilisée
est celle de Bayley E Pinneau. La marge d'erreur est
d'autant plu grande que l'enfant est plus jeune et que
Ia différence entre les âges chronologique
et osseux est grande. Quoiqu'il en soit, le suivi longitudinal
de la prédiction de taille apport une information
utile pour les indications thérapeutiques et
le suivi.
Mon enfant a un syndrome
de Turner : j'ai des questions...
Pendant longtemps, même
lorsque le diagnostic était fait, les jeunes
filles atteintes d'un syndrome de Turner n'étaient
guère en droit d'attendre une aide efficace ni
de la part de la société, ni de celle
du corps médical.
Elles étaient laissées
à leur sort peu enviable, souvent considérées
comme débiles légères, et atteignaient
l'âge adulte avec une taille nettement trop petite,
recevant tout au plus un traitement hormonal plus ou
moins adapté à leur impubérisme,
sans action possible sur la stérilité
associée.
La reconnaissance de leurs qualités
intrinsèques, l'aide éventuelle d'un soutien
psychologique adapté, la prise en charge efficace
de leur retard statural, un traitement mieux étudié
de leur impubérisme, enfin les progrès
de la procréation médicalement assistée,
ont considérablement modifié leur statut
et leur ont rendu l'espoir mérité d'une
insertion sociale, familiale et professionnelle quasi
"normale".
Ces progrès demeurent toutefois
conditionnés par la reconnaissance la plus précoce
possible du diagnostic et la compréhension des
problèmes spécifiques qui se posent à
ces jeunes filles.Qu'est ce que le syndrome de Turner
?
Le syndrome de Turner est une anomalie chromosomique
portant sur l'un des deux chromosomes sexuels.
Au lieu de posséder la répartition
normale des chromosomes : 46 XX chez une femme, 46 XY
chez un homme, une turnérienne présente
:
- soit l'absence d'un chromosome X : 45 X,
- soit une anomalie sur l'un des deux chromosomes X
présents.
Contrairement à d'autres aberrations
chromosomiques, telles que le mongolisme, dont la fréquence
s'accroît en fonction de l'âge des parents,
le syndrome de Turner n'est pas lié aux parents,
ni à l'âge de conception de l'enfant. Ils
ne sont ni porteurs, ni responsables de l'anomalie observée.
Celle-ci survient au niveau de la conception du fÏtus,
sans que l'on sache pourquoi.
Quel examen fait on pour diagnostiquer
un syndrome de Turner ?
L'examen-clé, lorsque des signes cliniques font
évoquer le diagnostic, est le caryotype. Il s'agit
d'un examen totalement indolore qui étudie, à
partir de quelques cellules prélevées
dans le sang, le patrimoine génétique
contenu dans les chromosomes. Il est ainsi possible
de distinguer et de compter tous les chromosomes, identiques
dans toutes les cellules d'un même individu, et
d'identifier s'il en manque un, s'il y en a un de trop
ou si l'un d'entre eux est détérioré.
Un humain normal possède 46 chromosomes, dont
deux chromosomes dits sexuels : X et Y pour l'homme,
X X pour la femme.
Si nous avons d'autres enfants,
pourront-ils aussi
être atteints par le syndrome de Turner ?
Le syndrome de Turner n'est pas une maladie familiale.
Dans la très grande majorité des cas,
il n'existe pas d'anomalie au niveau d'un chromosome
maternel ou paternel, donc pas de possibilité
de transmission héréditaire. Un autre
enfant n'a ainsi pas plus de risque de présenter
un syndrome de Turner. Seuls quelques cas exceptionnels
"d'anomalie de 1'X" peuvent être transmis
d'une mère à sa fille.
Il est donc souhaitable, en cas d'anomalie
de 1'X seulement, de faire un caryotype aux deux parents.
Il est également possible d'effectuer un caryotype
chez le fÏtus, qui entre dans les dispositions
légales et est donc remboursé par la Sécurité
Sociale.
Aurait-on pu s'apercevoir pendant la grossesse
?
Si oui, qu'aurait-on pu faire ?
Pendant la grossesse, seules des anomalies détectables
par un examen échographique peuvent attirer l'attention.
Il peut s'agir :
- d'un retard de croissance intra-utérin important,
- d'une malformation cardiaque,
- d'une anomalie du cou,
- d'un edème important (appelé anasarque),
- d'une malformation des voies urinaires.
Si le fetus naît sans ces anomalies,
ce qui est le plus fréquent, on ne pouvait pas
dépister le syndrome de Turner. Si l'une de ces
anomalies attire l'attention, on réalise un caryotype
fÏtal. Si le syndrome de Turner est confirmé,
I'indication d'un éventuel avortement thérapeutique
doit être discutée entre la famille et
les experts. Il s'agit d'un choix personnel qui doit
être pris en connaissance de cause.
Aurait on pu le prévoir
ou le dépister plus tôt ?
Le diagnostic de syndrome de Turner se fait à
un âge variable, selon l'importance des signes
cliniques présents. En dehors des rares cas où
le diagnostic est fait pendant la grossesse, il est
parfois possible de le suspecter à la naissance,
dans environ 20 % des cas, lorsqu'il existe :
- une anomalie du cou,
- une malformation cardiaque,
- un edème important.
En l'absence de ces signes typiques,
le diagnostic est souvent tardif. C'est souvent un infléchissement
progressif de la courbe de taille qui le fera évoquer,
chez une fillette trop petite pour son âge. Dans
quelques cas, une baisse de l'acuité auditive
secondaire à des otites à répétition
peut également attirer l'attention et faire rechercher
le diagnostic.
Comment annoncer à
ma fille qu'elle a un syndrome de Turner ?
L'annonce à une fillette qu'elle est porteuse
d'un syndrome de Turner doit, bien sûr, tenir
compte de l'âge de découverte. Si l'enfant
est très jeune, il peut être utile de fractionner
l'explication, en expliquant en premier lieu les symptômes
qu'elle a déjà remarqués, par exemple
sa petite taille. Dès l'âge de 8 ou 9 ans,
l'enfant est en âge de comprendre la totalité
des problèmes posés, expliqués
en termes simples, avec l'aide éventuelle du
médecin traitant ou les conseils d'une association
de familles concernées.
Il est alors souhaitable d'aborder les différents
aspects du syndrome de Turner, car plus l'enfant est
informée tôt, mieux elle réagit
et mieux elle est à même de faire face
à ses nouvelles réalités. Les parents
doivent savoir qu'une fillette informée supporte
beaucoup mieux les diverses anomalies ou retards (de
croissance et pubertaire notamment) liés à
son état. Ils ne doivent pas modifier leur attitude
à son égard, en particulier éviter
de la surprotéger.
Ma fille pourra-t-elle faire
des études comme les autres ?
Contrairement à une croyance répandue,
il n'existe pas de modification de l'intelligence chez
les jeunes filles Turner. Leur réussite scolaire
est donc superposable à celle des autres enfants
et très liée au milieu social et familial.
Même s'il semble que les mathématiques
puissent présenter certaines difficultés
d'apprentissage, le développement intellectuel
des jeunes filles Turner est, de façon globale,
strictement comparable à celui de la fratrie
et de la population générale. Toutefois,
il peut exister des déficiences scolaires liées
indirectement au syndrome de Turner :
- la petite taille peut être vécue comme
pénalisante au plan psychologique,
- une diminution de l'audition, méconnue, peut
rendre plus difficile l'apprentissage scolaire,
- une diminution de l'acuité visuelle, fréquente,
peut aussi retentir sur l'apprentissage scolaire si
elle n'est pas dépistée et corrigée
à temps,
- un suivi trop régulier en milieu médical
et une certaine surprotection de la part des parents
peuvent, chez certains enfants, entraîner un retentissement
psychologique néfaste. C'est pourquoi il peut
être utile, dans certains cas, d'apporter à
ces enfants un soutien psychologique par un psychologue
pour améliorer leurs performances, si le besoin
s'en fait sentir.
Que se passera t-il à
la puberté ?
Il n'existe aucune anomalie de l'identification féminine
et les organes génitaux féminins sont
normalement présents, en particulier l'utérus
et le vagin. Les ovaires sont également présents,
mais leur développement est le plus souvent modifié,
avec une régression progressive plus ou moins
précoce, plus tôt que chez une femme normale,
du fait de l'absence du 2ème X. Dans les 3/4
des cas, cette régression survient pendant l'enfance,
et aboutit à une "dysgénésie
gonadique", qui rend impossible une puberté
spontanée. Il est alors possible d'obtenir une
puberté d'apparence normale sous traitement par
les estrogènes, qui seront ensuite relayés
par la "pilule".
Cette puberté s'accompagne du
développement des seins, de la pilosité,
de l'utérus et de règles qui seront entretenues
artificiellement par le traitement. Dans 1/4 des cas,
la puberté peut commencer de façon spontanée,
puis la fonction ovarienne disparaît, souvent
dès l'âge de 18 ans, et au plus tard à
35 ans. De rares grossesses spontanées sont parfois
possibles, ce qui explique que le diagnostic puisse
être fait de façon tardive, à l'âge
adulte. Ces grossesses nécessitent, lorsque le
diagnostic est connu, une surveillance particulière.
Ma fille pourra-t-elle avoir
des enfants ?
Une jeune femme Turner a une vie sexuelle et familiale
tout à fait normale. Les organes génitaux
internes sont normaux et les règles sont entretenues
par le traitement estroprogestatif. Une grossesse est
possible, mais doit généralement recourir
à une procréation . médicalement
assistée, c'est-à-dire à une fécondation
"artificielle" utilisant un don d'ovocytes
anonyme et le sperme du mari. L'enfant est alors porté
normalement pendant 9 mois. Il faut toutefois savoir
qu'il s'agit d'une grossesse un peu délicate,
dont le taux de réussite n'est pas de 100%, mais
n'est pas différent du taux obtenu chez un couple
traité pour une autre cause de stérilité.
Il est simplement conseillé à tout couple
dont la femme est Turner, de consulter une équipe
compétente.
Quelle taille aura ma fille à l'âge
adulte
si on ne la traite pas ? Si on la traite ?
- en l'absence de traitement, les jeunes femmes Turner
françaises ont en moyenne une taille de 1,42
m. Néanmoins, des variations importantes existent,
liées :
- à l'importance du retard de croissance à
la naissance (la taille peut varier entre 43 et 50 cm),
- à la taille des parents : la taille d'une jeune
femme Turner peut être < 1,40 m si les parents
sont petits, ou > 1,45 m si les parents sont grands.
- avec traitement par l'hormone de croissance, il n'est
pas encore possible de disposer de données statistiques
précises, compte-tenu du faible recul des premiers
traitements. Toutefois, l'on sait que la moyenne des
tailles finales est augmentée. et qu'elle devrait
se situer aux environs de 1,48 m. Il est permis d'espérer,
avec des fillettes traitées suffisamment tôt
de dépasser les 1,50 m.
Combien de temps durera le
traitement par l'hormone de croissance ?
Le traitement par l'hormone de croissance durera aussi
longtemps qu'il sera efficace, I'efficacité étant
jugée sur la maturation osseuse et sur une certaine
progression de la taille au cours du traitement. Le
traitement est arrêté lorsque la vitesse
de croissance est jugée insuffisante et lorsque
la maturation osseuse, c'est-à-dire le degré
de soudure des cartilages de conjugaison, montre que
ces derniers sont en voie de soudure complète,
et ne peuvent donc plus réagir à la stimulation
par l'hormone de croissance.
Le traitement comporte-t-il
des risques ?
Avant la mise sous traitement, le médecin spécialiste
a vérifié l'absence de contreindications.
Par la suite, un traitement bien suivi et une surveillance
médicale régulière permettront
de détecter tout incident éventuel. Ceux-ci
ne sont pas fréquents, mais peuvent affecter
:
- le métabolisme du sucre : I'hormone de croissance
tend à accroître la glycémie (le
taux de sucre dans le sang); I'organisme est toutefois
apte à réagir et à maintenir une
glycémie normale. Seule une surveillance régulière
est recommandée.
- la fonction thyroïdienne : un contrôle
périodique permettra de dépister une éventuelle
hypothyroïdie se révélant au décours
du traitement par hormone de croissance.
- le développement important de certains "grains
de beauté" doit amener à instituer
une surveillance régulière par un dermatologue.
- la vigilance est de rigueur chez des enfants ayant
eu des convulsions, soit à l'occasion d'une forte
fièvre, soit dans le cadre d'une épilepsie,
bien que le risque soit extrêmement faible. Enfin,
il est important de souligner que les risques éventuels
de transmission virale qui avaient été
rapportés avec l'hormone extractive d'origine
humaine utilisée jusqu'en 1985, sont totalement
inexistants avec l'hormone de croissance exclusivement
biosynthétique dont nous disposons aujourd'hui.
Est ce que les autres peuvent
s'apercevoir de son anomalie ?
Le traitement par hormone de croissance, en augmentant
la taille moyenne des turnériennes, entraîne
une amélioration morphologique. Toutefois, s'il
existe une dysmorphie faciale (anomalies de la face),
elle persiste. Il faut néanmoins savoir que 50
% des jeunes femmes Turner ne sont pas dysmorphiques.
Seules 30 % des jeunes femmes Turner ont finalement
un physique qui font suspecter l'existence d'une anomalie.
En dehors de sa petite taille ma fille aura-t-elle
d'autres anomalies ?
Il faut distinguer celles qui sont fréquentes,
caractéristiques du syndrome de Turner :
- une dysgénésie ovarienne,
- des plis cutanés au niveau du cou, et les autres,
beaucoup plus rares, même si la fréquence
de certaines anomalies est accrue, telles que :
- certaines malformations cardiaques,
- certaines anomalies rénales, qui incitent à
la vigilance en cas d'infections urinaires,
- des anomalies ORL, au niveau de l'oreille interne,
dépistées par un audiogramme, qui pourraient
être dues à des otites séreuses
répétitives dans la petite enfance.
Vivra-t-elle aussi longtemps que les autres
?
Il n'existe pas de réponse absolue à cette
question, pas plus qu'à celle qui chercherait
à définir la durée normale de la
vie. Il faut toutefois souligner qu'aucun élément
ne plaide en faveur de l'existence d'une différence.
Il est ainsi probable qu'il n'existe pas de différence
notable de longévité. Il est néanmoins
indispensable, pendant sa vie d'adulte, de poursuivre
de façon prolongée la prise de "pilule",
pour éviter les inconvénients liés
à l'absence d'hormones et donc à l'équivalent
d'une menopause trop precoce, en particulier une ostéoporose,
des troubles métaboliques et cardiovasculaires
(les estrogènes ont un effet protecteur vis-à-vis
de l'infarctus du myocarde), une hypertension.
Aura-t-elle une vie normale
?
Nous avons vu, ci-dessus, que les jeunes filles Turner
avaient un développement intellectuel, et donc
professionnel, normal, qu'elles pouvaient mener une
vie conjugale normale, avoir des enfants dans certaines
conditions. Que demander d'autre comme preuves d'une
vie normale ? C'est pourquoi il n'est pas aujourd'hui
possible de considérer le syndrome de Turner
comme une maladie, mais tout au plus comme une particularité
!
La société humaine
n'est-elle pas faite de particularités ?
Qui est Turner ? Un peu d'histoire…
Henry Turner est un médecin américain
qui a décrit, en 1938, un syndrome associant,
chez une femme de petite taille, un impubérisme
sans caractères sexuels secondaires (seins et
pilosité), et la présence fréquente
d'un pli cutané latéral du cou. Otto Ulrich
avait déjà, en 1930, fait une description
analogue. A l'époque, la description était
purement clinique, car le caryotype n'existait pas.
Les premiers caryotypes datent de 1959. L'année
suivante, Monsieur Ford décrivait l'existence
de la monosomie X, c'est-à-dire l'absence d'un
chromosome X, qui caractérise les syndromes de
Turner les plus fréquents.
En 1965, les anomalies de l'X étaient
décrites pour la première fois. Les premiers
traitements de la petite taille du syndrome de Turner
par l'hormone de croissance datent des années
90 !
CONCLUSION
Le syndrome de Turner est certes relativement rare,
mais les nouvelles possibilités thérapeutiques
qui s'offrent désormais aux jeunes filles qui
en sont atteintes imposent d'en faire le diagnostic
le plus précocement possible.
Parmi ces nouvelles perspectives,
l'utilisation d'hormone de croissance biosynthétique
leur a redonné l'espoir d'atteindre, à
l'âge adulte, une taille supérieure à
1,48 m, c'est-à-dire à même de leur
faciliter une insertion sociale et professionnelle satisfaisante,
leur développement intellectuel ayant été
démontré comme normal. L'évolution
des techniques obstétricales de fécondation
médicalement assistée est un autre aspect
fondamental de l'espoir retrouvé des jeunes femmes
Turner, qui leur ouvre les portes d'une vie familiale.
Les conditions de vie des jeunes femmes
Turner se sont ainsi considérablement améliorées
en quelques décennies grâce à une
démarche thérapeutique bien conduite,
reléguant ainsi au chapitre des particularités
historiques certaines descriptions cliniques.
L'entrée dans la sexualité
et ses aléas
La réflexion
que j'expose ici sur la problématique de la sexualité
précoce s'est développée au travers
de l'expérience acquise dans une consultation
de gynécologie-endocrinologie pour adolescents,
et dans des animations d'espaces paroles autour de la
sexualité en milieu scolaire.
QUELQUES ASPECTS QUANTITATIFS
La proportion d'adolescents, filles ou garçons,
qui ont leurs premières relations sexuelles avant
15 ans est estimée à 20 % [1]. Le taux
de jeunes sexuellement actifs augmente ensuite rapidement,
et dans des proportions semblables dans les pays développés.
Entre 17 et 18 ans, 50 % des jeunes ont vécu
au moins une relation sexuelle avec pénétration,
et plus d'un tiers déclare avoir déjà
noué une relation durable. Les garçons
sont plus nombreux dans le groupe des "initiateurs
précoces".
L'engagement affectif est significativement
moindre pour les initiateurs précoces que pour
les "initiateurs tardifs", surtout chez les
garçons, alors que chez les filles, un engagement
affectif est majoritairement présent dès
les premiers rapports. Chez les plus jeunes, les facteurs
normatifs, liés à la pression du groupe
ou l'insistance du partenaire semblent jouer un plus
grand rôle que chez les plus âgés.
Cela étant, I'importance de ce facteur dans les
motivations aux premiers rapports est très élevée.
L'apprentissage de la vie affective et sexuelle se fait
au travers de relations qui peuvent être brèves,
bien que souvent intenses.
Le dialogue sur la contraception est
peu fréquent entre partenaires sexuels. Les initiateurs
tardifs utilisent plus souvent que les autres une contraception
aux premiers rapports. Dans l'ensemble, le préservatif
a permis une augmentation des taux de protection aux
premiers rapports, puisque ce taux, qui a longtemps
stagné à moins de 50 % quand la pilule
était le seul moyen contraceptif utilisé,
est aujourd'hui supérieur à 75 %.
Peut-on, quant à nous,
ainsi définir chez les filles ou les garçons,
une problématique spécifique liée
à la survenue de rapports sexuels précoces,
et identifier un groupe "d'initiateurs précoces"
?
Il n'est pas simple de donner une définition
des rapports sexuels précoces. Pour certains,
le terme de sexualité précoce est utilisé
pour désigner les adolescents qui ont des rapports
sexuels, ce qui signifierait que la survenue de relations
sexuelles à l'adolescence est toujours précoce.
Pour d'autres, compte tenu du fait que l'âge moyen
des premiers rapports est de 17 ans, pratiquement identique
chez les filles et les garçons, la sexualité
précoce est définie par la survenue des
premières relations sexuelles encore plus précocement.
Faudrait-il penser que la moyenne
statistique définit une norme, et si norme il
y a serait-elle censée définir une frontière
entre normal et pathologique ?
Quelques exemples empruntés à l'histoire
ou à d'autres cultures nous incitent à
relativiser le concept de précocité en
matière de sexualité : ainsi, des filles
à peine pubères étaient et sont
encore mariées (avec ou sans leur consentement).
À l'évidence, ce n'est pas la sexualité
précoce qui était ou est encore dans certaines
cultures considérée comme précoce,
mais la sexualité hors mariage. Ces exemples
démontrent bien que les références
à une norme en matière de sexualité
sont essentiellement de nature culturelle.
Comment pouvons-nous, en tant
que médecins, aborder cette problématique
de sexualité précoce ?
Nos critères vont naturellement faire référence
à l'appréciation de critères de
maturation. L'âge chronologique est à l'adolescence
un très mauvais critère pour évaluer
non seulement le développement pubertaire, mais
plus encore la maturité psychoaffective d'un
adolescent donné.
DEVELOPPEMENT PUBERTAIRE
Au plan de la maturation pubertaire, on observe une
grande variabilité de l'âge de survenue
des processus pubertaires qui sont bien reflétés
par la variabilité de l'âge de la ménarche
[2]. Ainsi, dans les extrêmes, la survenue des
premières règles se situe pour les plus
jeunes autour de dix ans, et pour les plus âgées
autour de 18 ans. L'âge moyen des premières
règles est actuellement de 12 ans et demi.
DEVELOPPEMENT PSYCHOAFFECTIF
ET SEXUEL
Le développement psychoaffectif ne peut être
réduit aux seuis termes de maturation pubertaire.
L'évaluation des capacités d'autonomie
et de responsabilité des adolescents constitue
un problème central pour les médecins
qui s'occupent d'adolescents; I'irruption de la problématique
de la sexualité, centrale à cet âge,
va nous interpeller sur l'appréciation du développement
psychosexuel et la maturité psychologique d'un
adolescent donné. Si cette évaluation
est importante, force est de constater que nous ne possédons
ici aucun critère de référence
blologique et simplement mesurable.
Pour tenter de répondre à
cette question de l'évaluation de la maturité
psychologique des adolescents, il faut en revenir à
la pratique clinique. La consultation de gynécologieendocrinologie
est un lieu particulièrement privilégié
pour comprendre comment les adolescents vivent les processus
de sexualisation et comment ils se situent dans la problématique
de la sexualité. Il est toujours nécessaire
d'aborder, et ce quel que soit le motif de la consultation,
les besoins liés à la sexualité,
qu'il s'agisse d'une simple information ou de besoins
plus concrets quand l'éventualité d'une
première relation est envisagée [3].
Maturité et premières
relations sexuelles
La question de la maturité est souvent exprimée
de façon très simple par les adolescents
qui n'ont pas encore eu de relations sexuelles. On entend
souvent dire dans ces conditions "je ne me sens
pas prêt", ou encore "ce n'est pas mon
problème pour le moment" ou enfin "je
suis trop jeune"... Ces paroles, on peut les entendre
aussi bien chez un(e) adolescent(e) de 15 ans, que chez
un jeune beaucoup plus âgé.
Comment peut-on les interpréter
?
Si on perçoit des propos authentiques, c'est-à-dire
qui ne sont pas sous-tendus par des défenses
rapidement perceptibles, ils témoignent d'une
évolution harmonieuse dans laquelle nous n'avons
pas à intervenir, sinon pour signifier qu'on
reparlera de sexualité le moment voulu, et pour
renforcer l'adolescent(e) dans ses sentiments, sentiments
qui peuvent être mis à mal par des pressions
normatives issues de l'environnement (groupes ou pairs,
ou petit ami, voire... parents).
Conduites d'évitement
D'autres adolescent(e)s sont à l'évidence
très mal à l'aise dès qu'on aborde
la problématique de la sexualité, et vont
rester silencieux ou vont faire dévier rapidement
l'entretien sur d'autres sujets. Certains jeunes ont
en effet une peur très grande de tout ce qui
réfère à la sexualité, voire
pour certains à la sexualisation, comme on peut
l'observer de façon caricaturale chez les filles
anorexiques. Il n'est pas rare d'observer de telles
conduites chez des adolescents atteints de maladies
de long cours, notamment les maladies qui ont un impact
sur le développement pubertaire.
Ces conduites d'évitement vis-à-vis
de la sexualité peuvent aussi s'observer chez
ceux qui n'ont aucune maladie organique, mais qui vivent
dans un climat de dysfonctionnements relationnels importants
avec des parents qui les enferment dans leur enfance
et ne peuvent les laisser sortir de ce statut sans mettre
en péril la cellule familiale (le terme de cellule
fait ici plus référence à son sens
carcéral qu'à son sens d'unité
vitale). Si on en revient à notre problématique
de sexualité précoce, force est de reconnaître
qu'il y a des << non-précocités
>> qui sont véritablement l'un des symptômes
de réelles pathologies.
Premières relations
regrettées
A contrario, ceux ou celles qui ont déjà
eu des relations sexuelles évoquent rarement
leur maturité psychologique, à l'exception
des filles qui, après des premiers rapports qui
se sont passés dans la confusion et sans qu'elles
l'aient véritablement voulu, en expriment le
regret. Celles-là se sont souvent senties contraintes
par le petit copain, ou ont été surprises
par des situations imprévues, dans lesquelles
elles n'ont pas été capables de dire non,
sans avoir vraiment dit oui... C'est alors que, dans
l'après-coup, elles peuvent venir nous demander
si elles sont encore vierges, s'il y a vraiment eu des
rapports complets.
Les regrets très fréquents
exprimés par les adolescentes après les
premiers rapports dépassent largement le cadre
décrit ci-dessus, et réfèrent souvent
au sentiment de s'être "faite avoir"
ce qui signifie qu'elles se seraient trompées
sur la nature des sentiments du petit ami, qui, lui,
"n'aurait voulu que ça " c'est à
dire des rapports sexuels. Si dans certains cas, des
garçons peuvent exploiter ies sentiments amoureux
de leurs amies pour avoir des relations sexuelles, le
plus souvent, la réalité est très
certainement différente et plus complexe, ce
d'autant que ce sont souvent les filles qui rompent
rapidement après les premières relations
sexuelles.
De façon paradoxale, alors que
dans bien des cas, les premières relations semblent
décidées, on observe une tendance très
générale des filles à vouloir se
situer dans une position de victime, victime de la sexualité
des garçons. Ainsi peuvent-elles minimiser leur
responsabilité après coup, dans des situations
où probablement l'influence et les normes des
pairs ont joué à leur insu un rôle
important dans les "décisions" d'avoir
les premières relations sexuelles. Le sentiment
d'avoir été utiiisée ou d'être
convoitée comme un objet à des fins purement
sexuelles, alors que leur demande à elle est
essentiellement de nature affective, est le différend
majeur qui oppose filles et garçons à
l'adolescence.
Il est important que ces filles puissent
exprimer leurs regrets et qu'elles puissent à
nouveau se sentir libres. Libres de différer
les prochaines relations sexuelles si tel est leur souhait
: ce n'est pas parce qu'on a eu une relation sexuelle
qu'on est obligée d'en avoir d'autres dans l'immédiat.
Mais capables également d'avoir d'autres relations
sexuelles qui pourront bien se passer quand elles le
voudront vraiment : ce n'est pas parce qu'un premier
rapport s'est mal passé que toute la vie sexuelle
est condamnée.
S'il est important que ces filles puissent
exprimer leurs regrets, il est tout aussi important
de tenter de leur faire prendre conscience de leurs
responsabilités dans ces histoires, pour les
faire sortir d'un statut de victime, et de démonisation
des garçons.
Initiateurs précoces
aux biographies lourdes
Il n'est pas rare que ceux qu'on désigne sous
le terme d'initiateurs précoces aient des biographies
plus lourdes dans l'ensemble que les initiateurs tardifs.
J'entends notamment par biographies lourdes:
- des antécédents de maladies de long
cours, qui peuvent jouer autant dans un sens freinateur
que dans un sens accélérateur de la sexualité
[4];
- des histoires familiales difficiles, notamment quand
elles ont généré des situations
d'abandon pour l'adolescent;
- des violences intra familiales, souvent subies par
l'adolescent;
- des handicaps psychosociaux.
Pour certains, tous ces facteurs peuvent
se cumuler, et il est fréquent d'y trouver associé
un échec scolaire.
De ces biographies ravageuses naissent souvent des adolescents
ravagés, qui disent leur détresse au travers
de passages à l'acte multiples et répétés,
passages à l'acte qui se trouvent réduits
dans le langage épidémiologique à
des "comportements à risque" [5]. Si
ces comportements sont évidemment à risque
pour ces jeunes, pour eux il s'agit avant tout d'un
langage, souvent le seul dont ils disposent, afin d'exprimer
la violence qu'ils ressentent envers le monde et envers
eux-mêmes. Pour les filles, la sexualité
est un terrain privilégié de passages
à l'acte, au travers de mises en acte sexuelles
précoces, et d'aventures sexuelles réitérées.
C'est dans ces situations que le risque de grossesse,
et de maladie sexuellement transmissible est le plus
élevé.
On peut cependant penser que les passages
à l'acte de nature sexuelle ne sont pas toujours
les plus négatifs, même s'ils comportent
des risques. Par leurs comportements sexuels, ces filles
expriment un immense besoin d'amour et de reconnaissance.
Dans ces conditions, le plus souvent, elles ne trouvent
pas ce qu'elles recherchent. Mais les hasards peuvent
faire que l'on "tombe" sur un garçon
ou sur une fille gentille et supportif, compagnons qui
peuvent être d'un secours infini dans des situations
dramatiques, et qui peuvent devenir les moteurs à
survivre et à trouver de l'aide.
Quand les initiateurs précoces
sont des initiés...
On ne peut malheureusement pas oublier celles, nombreuses,
dont les premiers rapports sexuels sont subis, qui n'ont
ni choisi, ni désiré d'en avoir. Les adolescentes
sont la cible privilégiée des agressions
sexuelles et des situations incestueuses, qui parfois
ont débuté dans l'enfance. De ce fait,
les filles qui ont les rapports sexuels les plus précoces
sont manifestement celles qui ne souhaitaient pas en
avoir, sauf à prendre les désirs Eudipiens
au pied de la lettre... Cette collusion des fantasmes
et de la réalité est l'une des souffrances
supplémentaires que ces filles ont à vivre.
Au plan pratique, soulignons que les adolescentes porteuses
de maladies chroniques, et plus encore de handicap mental,
constituent une cible privilégiée d'agressions
sexuelles et de situations incestueuses.
Ainsi, dans une statistique réalisée
dans notre consultation en 1990, 38 % des consultantes
étaient des malades chroniques; dans ce groupe,
on retrouvait 8 % de filles ayant été
victime d'une situation incestueuse, et 15% ayant subi
une agression sexuelle. Les antécédents
de violences sexuelles perturbent très souvent
la sexualité. On peut ainsi observer des blocages
à établir des relations affectives ou
une difficulté majeure à avoir des relations
sexuelles, ou, a contrario, des comportements sexuels
avec partenaires multiples sans investissement affectif,
avec prise de risques délibérée
dans une volonté d'agresser son corps [6].
Des comportements et des risques
très différents d'un adolescent à
l'autre
Si la précocité des relations sexuelles
est repérée comme un facteur de risque
important, d'une part du fait des comportements à
risque plus fréquents, d'autre part, du fait
de la vuinérabilité aux infections, il
ne faut pas oublier que les jeunes ont des profils très
différents, qui vont les conduire à avoir
des comportements très différents. Pour
certains, les risques sont limités. Il s'agit
d'adolescents qui vont bien et sont plutôt satisfaits
de leur vie. Ils sont bien intégrés socialement
et scolairement. Ce sont des expérimentateurs
précoces, pressés de donner, du moins
à certains égards, des images d'adultes.
C'est ainsi qu'on peut observer des
premiers rapports en série dans un groupe de
copines, dans des comportements d'imitation. Les changements
de partenaires sont fréquents, et la durée
des relations brève. Les prises de risques sont
à situer dans un contexte ludique et non dans
un contexte d'autoagression. Elles sont de toutes façons
limitées et souvent réduites aux premières
expériences sexuelles, où l'utilisation
du préservatif peut être irrégulière.
Mais ces jeunes ont un comportement d'expérimentation
qui a néanmoins intégré des limites
et c'est très rapidement et très largement
que le préservatif est utilisé par la
majorité d'entre eux. Dans ces situations, il
est essentiel d'amener l'adolescent à s'interroger
sur ce qu'il cherche à travers ces relations,
et ce qu'il y trouve effectivement, ce qui peut parfois
le conduire à vouloir modifier ses comportements
sexuels.
Vécu positif de relations
sexuelles précoces
Il existe des adolescentes qui, très jeunes,
vivent de façon volontaire et tout à fait
positive des relations sexuelles, et qui y trouvent
un réel épanouissement. Certes, ces filles
sont l'exception, mais comme le dit si justement Birraux
"quand la norme, statistiquement, c'est la loi
du plus grand nombre, mais quand ce plus grand nombre
fonctionne par exemple de façon totalitaire,
la norme n'est-elle pas du côté de ceux
qui sont repérés comme déviants
? "
DEFINITIONS ?
Si la maturité psychosexuelle d'une adolescente
devait répondre à une définition,
on pourrait peut-être décrire comme suit
une jeune fille mature : C'est une jeune fille qui choisit
de façon libre, autonome, réfléchie,
responsable, d'avoir des relations sexuelles avec la
personne de son choix. Cela étant, en matière
de sexualité, je ne suis pas sûre que beaucoup
d'adolescents, ni d'ailleurs beaucoup d'adultes, aient
une sexualité qui réponde à cette
définition, définition qui a les qualités
de la rationalité, mais qui gomme par trop tout
ce que le désir peut avoir d'imprévisible,
d'inconscient, de non maîtrisable.
Une autre définition de la
maturité psychosexuelle, ou plutôt une
définition complémentaire se devrait de
faire avec cette imprévisibilité, cette
force et cette vitalité du désir : une
personne mature serait porteuse d'un désir qui
chercherait à prendre corps dans une relation
affectivement et positivement investie, dans une recherche
de soi et si possible de l'autre. Cette dernière
dimension, la recherche de l'autre, est souvent absente
à l'adolescence où la recherche de soi
(recherche de soi y compris à travers l'autre
dont on utilise surtout la fonction de miroir) est le
moteur prépondérant des relations affectives
et sexuelles, dans cette quête identitaire si
particulière à cette période de
la vie [7].
Le concept de maturité psychosexuelle
ne saurait faire abstraction des conditions d'apprentissage
que réalisent toute adolescence : c'est par essai
et erreur que l'adolescent va pouvoir accéder
à cette maturité que nous nous obstinons,
nous adultes, à exiger de lui d'emblée,
avant même qu'il ait pu éprouver ses sentiments
et son corps. Ce concept de maturité ne peut
s'envisager comme un phénomène de tout
ou rien, mais comme un cheminement, une progression
qui n'est ni droite ni linéaire, et qui comporte
des allers et retours, des tours et des détours.
À ce concept doit être
associée la notion essentielle d'une "utilisation
positive" d'une sexualité désirée
par l'adolescente elle-même, pour elle-même,
pour se faire du bien, et non pas pour se blesser. Une
relation sexuelle réussie, si ce n'est mature,
devrait permettre à l'adolescente de s'enrichir
et de poursuivre une évolution positive. Elle
devrait donner du plaisir (ce qui n'est en rien une
obligation de jouissance qui ne peut que terroriser
et conduire à être tellement à l'écoute
de ses sensations qu'on passe à côté
de l'essentiel, c'est-à-dire ce qui se passe
dans cet entre-deux des corps).
Si ces définitions permettent
peut-être de mieux cerner la question de la maturité
psychosexuelle, elles ne sauraient définir le
sentiment amoureux, sentiment complexe et violent qui
touche l'humain au plus profond de son intimité,
et dont la littérature, la poésie, la
musique... sont seuls à même de nous en
dire quelque chose.
EVALUATION DES POTENTIELS OU
LIGNES DE FORCE MIS EN JEU DANS LA SEXUALITE
Finalement, après ces observations, force est
de constater qu'il n'y a pas de frontière claire
en terme d'âge chronologique délimitant
un état de maturité psychoaffective permettant
des relations sexuelles, et un état de prématurité
qui ne le permettrait pas.
Cela étant, le législateur a retenu l'âge
de 15 ans, comme étant celui qui permet à
un adolescent d'avoir des relations sexuelles avec la
personne de son choix. Mais les incohérences
de la loi traduisent bien les difficultés d'établir
des normes en matière de sexualité : ainsi,
la loi autorise les mineures, et ce quel que soit leur
âge, à obtenir une contraception, de façon
anonyme et gratuite, sans autorisation de leurs parents,
dans les centres de planification, comme elle reconnait
à une mineure, et ce quel que soit son âge
le droit d'avorter (avec l'autorisation d'opérer
d'au moins l'un de ses parents), ou comme enfin elle
lui reconnait le droit d'une autorité parentale
pleine et entière concernant l'enfant qu'elle
met au monde [8].
Pour nous, médecins, il ne
s'agit pas de permettre ou d'interdire la sexualité,
mais d'aider un(e) adolescent(e) en l'aidant à
comprendre ce qu'il ou elle joue, et ce qui se joue,
au travers de la sexualité, parfois positivement,
parfois négativement. L'évaluation "de
lignes de force positives et négatives"
(V. Courtecuisse) peuvent être analysées
à partir des quatre facteurs suivants...
Les motivations des adolescents
pour s'engager dans une relation sexuelle
La problématique de la prévention des
risques liés à la sexualité, à
savoir grossesses, MST et Sida, esl devenue tellement
prépondérante, tant pour les médecins
que pour les parents et pour l'ensemble du corps social,
que l'interrogation fondamentale vis-à-vis de
la sexualité est aujourd'hui totalement absente
: on ne se demande plus, et on ne demande plus aux adolescents
pourquoi ils font l'amour, mais comment ils le font
: avec pilule, avec préservatif...
Pourtant, on ne peut éluder
la question du pourquoi qui reste encore aujourd'hui
essentielle. On peut résumer ainsi les motivations
à avoir des relations sexuelles :
- il y a les relations sexuelles engagées
pour soi, par exemple pour tester son pouvoir de séduction,
pour prouver sa virilité, pour affirmer sa féminité,
pour trouver de l'affection, du plaisir...;
- pour les filles, il y a les relations
sexuelles engagées pour le petit ami : pour lui
faire plaisir, ou parce qu'on l'aime et qu'on a envie
de lui donner << ça >> comme ultime
preuve d'amour, ou plus douloureusement parce qu'il
l'a exigé et que l'on craint de le perdre s'il
n'y a pas de rapports...;
- il y a les relations sexuelles engagées
pour les autres, pour faire comme les autres, pour ne
pas se sentir marginalisé...;
- il y a les relations sexuelles engagées
contre les autres : notamment contre des parents qui
interdisent l'accès de leurs adolescents à
la sexualité. Quand des rapports sont ainsi "dédiés"
et ont pour fonction essentielle de transgresser des
interdits, il est rare qu'ils soient vécus positivement...;
- il y a enfin les relations sexuelles
engagées contre soi, vécues comme une
agression d'un corps détesté, et perpétuellement
réitérées dans une spirale autodestructrice
où les mises en actes sexuelles ne sont que l'une
des formes que prennent les passages à l'acte
multiples et de nature variée observés
dans ces situations dramatiques (utilisation de toxiques,
tentatives de suicide, etc.).
Ainsi, les relations sexuelles doivent
être envisagées dans le cadre d'une problématique
plus large et centrale à l'adolescence, celle
de l'agir. Les premières expériences sexuelles
constituent l'un des "agir", essentiels à
cet âge. L'adolescent a besoin de faire, d'éprouver,
dans le double sens de ressentir et de se mettre à
l'épreuve, de se tester, avant de pouvoir éventuellement,
dans l'après- coup, en dire quelque chose. Une
des finalités des premières relations
sexuelles, c'est d'éprouver la réalité
de ce corps, et d'apprendre ainsi peut-être que
"j'étais fait pour avoir un corps"
comme le dit si justement Albert Camus dans <<
L'été >~.
Le partenaire sexuel
Le deuxième "facteur" à envisager
dans les lignes de force, c'est l'autre, celui qu'on
désigne sous le terme bien peu seyant de partenaire
sexuel. Cet être réel, avec qui on fait
l'amour a heureusement sa propre dynamique dans la relation.
Ainsi, en fonction de sa personnalité et de son
investissement affectif et amoureux, il peut faire évoluer
en positil des motivations au départ négatives,
comme il peut faire évoluer en négatif
une relation au départ positive...
Le vécu de la sexualité
Le vécu de la sexualité va jouer un rôle
importanl dans les lignes de force. Une ou des motivations
positives, un ami aimé, aimant et tendre sont
certes des atouts pour vivre une sexualité épanouissante.
Si ces facteurs sont le plus souvent nécessaires
à une vie sexuelle où le plaisir ait sa
place, ils ne sont pas toujours suffisants notamment
à l'adolescence où les premières
expériences sexuelles sont chargées de
beaucoup d'appréhensions.
L'absence de jouissance est une plainte
fréquente des filles et a souvent une toute autre
signification que les situations réelles de frigidité
observée chez des femmes adultes. Dans nombre
de cas, les rassurer sur leur normalité va permettre
de dénouer les problèmes. Il est utile
de leur expliquer que pour tout dans la vie, il faut
du temps, il faut apprendre. Ici, il faut s'apprendre,
il faut apprendre son corps.
Chez les garçons, les difficultés
d'érection sont très dramatiquement vécues
et les difficultés pour en parler sont très
grandes. C'est au médecin d'instaurer un climat
de confiance et de << tendre des perches >>
qui permettent d'en parler. Examiner les adolescents
pour vérifier que tout va bien, dédramatiser
et les rassurer, est essentiel et souvent suffisant.
A contrario, avec des motivations
négatives, ou un(e) ami(e) peu investi(e), les
rapports sexuels ont peu de chance d'être vécus
positivement, et ce plus ouvent pour les filles que
pour les garçons. Mais l'absence de plaisir ou
les douleurs aux rapports n''en inquiètent pas
moins les adolescentes. Il est important de leur permettre
de prendre conscience que les conditions affectives
dans lesquelles se sont déroulées ces
relations ne leur permettaient pas de les vivre autrement
que négativement. Ce n'est pas elles, en tant
que femmes "anormales" (c'est un terme bien
(trop) souvent répété par les adolescentes),
qui sont ici en cause et la cause.
Le vécu de la sexualité
peut aussi être perturbé par l'absence
de contraception, qui inquiète souvent les adolescents
au moment des rapports, et peut conduire à modifier
de façon frustrante leur réalisation.
Les réactions parentales
Les réactions parentales [9] jouent un rôle
majeur sur la sexualité des adolescents. Dans
certaines familles, minoritaires aujourd'hui, la sexualité
à l'adolescence est proscrite.
Dans les cas les plus rares, il s'agit de valeurs religieuses
où la sexualité est inscrite dans le mariage;
dans ces familles, quand la communication parents-enfants
existe, que les adolescents reprennent à leur
compte les valeurs parentales, la virginité est
valorisée et l'absence de rapports est vécue
positivement et sans problèmes.
Quand les interdits font plus référence
à des traditions culturelles qu'à des
valeurs religieuses, quand les interdits sont édictés
au sein de familles en difficulté, qui se défendent
contre un environnement mettant à mal leurs valeurs,
quand les interdits sexuels s'associent à d'autres
violences, ils ont toute chance d'être transgressés,
pour tout à la fois agresser sa famille, tenter
de s'en libérer, mais finalement en rester prisonnier
puisque la sexualité n'est pas agie pour soi.
Dans ces situations, il est fréquent d'observer
non seulement des comportements sexuels précoces,
mais aussi des grossesses, des tentatives de suicide...
Dans les cas plus habituels, les discussions
sur et autour de la sexualité au sein des familles
est possible, voire dans certains cas obligée.
S'il est important pour l'adolescent d'avoir une famille,
ou plus souvent une maman, à qui " on peut
parler de ça et qui peut comprendre" il
y a aussi des parents qui autorisent une sexualité,
sous réserve qu'on leur en dise tout. Nécessairement
dans ce dernier cas, on n'en parlera souvent pas directement,
mais un acte manqué (comme un préservatif
oublié, etc.) viendra signifier. Ces accidents
vont être à l'origine de petits drames,
où l'adulte se sent trahi, parce qu"on ne
lui a pas dit". Le médecin, consulté
souvent ensuite pour la contraception devrait pouvoir
avoir un rôle de médiateur, et permettre
à la confiance de se restaurer, en expliquant
qu'il y a plusieurs façons de dire, le langage
n'étant pas souvent le plus simple pour parler
de la sexualité à ses touts débuts.
Dans d'autres cas, la discussion sur
la sexualité n'est pas possible pour les parents,
qui ne se sentent pas capables d'en parler. C'est alors
au médecin, souvent le gynécologue, chez
qui on conduit l'adolescente, qui, lui, devrait "
dire" ou à tout le moins donner une contraception
"au cas où". Si parfois ces consultations
sont difficiles, elles peuvent aussi être très
utiles et émouvantes, notamment quand une maman
arrive à faire part de ses difficultés
et de ses limites, ce qu'on peut l'aider à faire
au cours de la consultation.
La perception que les adolescents
ont des réactions parentales, de ce qui est dit
et non dit, a une importance majeure sur la façon
dont ils vont vivre leur sexualité. Si une libération
sexuelle a eu lieu, la problématique de la relation
aux parents dans le dire et le faire de la sexualité
adolescente est loin d'être simple et univoque.
CONCLUSION
Le médecin qui prend en charge des adolescents
est confronté à la sexualité des
adolescents au travers de la prise en charge de la contraception
et des MST. Il est aussi souvent requis par les parents
ou par l'institution scolaire pour participer à
leur "éducation sexuelle".
Pour ce faire, il est indispensable
d'avoir intégré que la sexualité
ne se limite pas à ses risques médicaux.
Pour une majorité d'adolescents, elle inclut
la capacité de s'engager dans une relation d'intimité
et d'échanges sur des bases de confiance. Les
adolescents vont acquérir leur maturité
psychosexuelle dans les conditions d'apprentissage que
réalisent toute adolescence : c'est par essai
et erreur que l'adolescent va pouvoir accéder
à cette maturité qui demande qu'il ait
pu éprouvé ses sentiments et son corps.
Ce concept de maturité ne peut s'envisager comme
un phénomène de tout ou rien mais comme
un cheminement, une progression qui n'est ni droite
ni linéaire.
Pourquoi les adolescents fument-ils
?
L'accroissement de la
consommation de substances psychoactives parmi les jeunes
générations constitue aujourd'hui un sujet
de préoccupation majeure pour les professionnels
de la santé. À ce titre, toutes les études
montrent que le tabac est, après l'alcool, le
deuxième produit le plus souvent consommé
[1]. Les trois quarts des adolescents qui fument quotidiennement
seront des fumeurs à l'âge adulte et la
dépendance à la nicotine apparaît
d'autant plus sévère et durable que la
consommation de tabac a débuté précocement
[2].
PREVALENCE
La consommation de tabac
Chez l'enfant
Si les études chez l'enfant restent rares, elles
montrent f que, contrairement à ce que l'on a
pensé pendant longtemps, la consommation de substances
psychoactives n'est pas exceptionnelle à cet
âge. Quinze à 20 % (parfois plus) des enfants
âgés de 9 à 11 ans ont déjà
fait 1'expérience, au moins une fois, du tabac,
2 à 8 % en consommant plus ou moins régulièrement
[1, 3].
Chez l'adolescent
Les études chez l'adolescent sont plus nombreuses
et montrent une progression notable de la consommation
de substances psychoactives avec l'âge, avec surtout
une forte augmentation à partir de l'âge
de 15 ans. À cet âge, environ 40 à
45 % des adolescents ont déjà fait 1'expérience
du tabac, 25 à 35 % en consomment plus ou moins
régulièrement, 10 % en consomment quotidiennement.
A la fin de l'adolescence, environ 65 % des sujets ont
déjà fait l'expérience du tabac,
30 à 40 % en consomment plus ou moins régulièrement,
20 à 30 % en consomment quotidiennement [1, 3-6].
Si les comportements de consommation
apparaissent instables au cours de l'adolescence, de
nombreuses études montrent que les facteurs les
plus prédictifs des comportements tabagiques
à la fin de l'adolescence sont la consommation
antérieure et la précocité de son
début [7]. Contrairement à la consommation
d'alcool et de drogues, plus fréquemment observée
chez les garçons que chez les filles, globalement,
garçons et filles fument dans les mêmes
proportions, avec cependant une tendance à une
consommation plus précoce chez les filles. De
même, contrairement à ce qui est observé
pour l'alcool et les drogues, plusieurs études
suggèrent que la consommation de tabac serait
marquée par une plus grande persistance chez
les filles que chez les garçons [1, 7].
La dépendance à
la nicotine
Le diagnostic de la dépendance à la nicotine
chez l'adolescent pose encore de nombreux problèmes.
Dans les nouvelles classifications internationales (CIM-10,
DSMIV), I'abus et la dépendance aux substances
psychoactives sont considérés comme ayant
des expressions cliniques identiques chez l'enfant,
I'adolescent et l'adulte. Les critères retenus
n'ont cependant jamais fait l'objet d'études
d'évaluation de leur fiabilité et de leur
validité chez l'enfant et l'adolescent, et l'adéquation
de ces critères à l'enfant et à
l'adolescent reste discutée. Pour de nombreux
auteurs, ces critères auraient l'inconvénient
non négligeable de ne permettre qu'un diagnostic
tardif, au moment où les troubles constatés
sont comparables à ceux observés chez
l'adulte [1].
De même, les notes seuils habituellement
utilisces chez l'adulte dans les autoquestionnaires
d'évaluation de la dépendance à
la nicotine ne semblent pas applicables à l'adolescent
[2]. Quoi qu'il en soit, environ 20 % des adolescents
qui fument quotidiennement et plus de 80 % de ceux qui
fument au moins un paquet de cigarettes par jour présenteraient
les critères de la dépendance à
la nicotine [2, 5]. Le passage de l'expérimentation
à la dépendance se fait progressivement,
s'étalant en moyenne sur deux à trois
ans. Là encore, la précocité de
la consommation (avant l'âge de 12 ans) apparaît
comme le facteur le plus prédictif de la survenue
d'une dépendance [3, 5].
FACTEURS DE RISQUE
Si beaucoup d'adolescents font l'expérience
du tabac, comparativement, peu d'entre eux vont développer
une dépendance. C'est dire que les facteurs qui
influencent l'initiation et l'expérimentation
diffèrent sans aucun doute de ceux qui favorisent
l'installation d'un abus ou d'une dépendance.
À ce titre, des études ont montré
que les premières expériences avec le
tabac étaient généralement vécues
par les adolescents de façon négative,
soulignant l'intervention d'autres facteurs dans la
pérennisation de la consommation [5]. Globalement,
I'initiation et l'expérimentation des substances
psychoactives chez l'adolescent semblent essentiellement
déterminées par des facteurs socioculturels,
situationnels et environnementaux, tandis que les facteurs
psychologiques, psychiatriques et biologiques semblent
jouer un rôle prépondérant dans
l'abus et la dépendance [1].
Le contexte développe mental de l'adolescence
L'adolescence est une période de transition marquée
par d'importants remaniements affectant le corps, la
pensée, la vie sociale et la représentation
de soi. Le processus développemental inscrit
dans cette période implique la nécessité
pour l'adolescent de tester et de modifier ses attitudes
et ses comportements au fur et à mesure de son
évolution et des interactions vécues avec
l'environnement. Cet apprentissage par essais-erreurs
permet à l'adolescent de découvrir puis
d'élaborer son propre système de valeurs
sociales à travers la prise de conscience de
soi et l'affirmation de son identité. Il lui
permet d'atteindre à la fois le sentiment d'individualisme
et d'intégration sociale.
L'expérimentation des substances
psychoactives participe de ce processus en tant qu'expérience
organisatrice de la vie psychique, de la pratique du
corps et des réactions du groupe social. Les
attitudes et les comportements des adolescents sont
largement dominés par la notion subjective de
conformité à la normalité supposée.
Les pressions sociales de conformité aux modèles
idéaux, véhiculés par la culture
et les médias et, de façon plus contraignante
encore, par le groupe des pairs, peuvent rendre compte
de l'importance aujourd'hui chez les adolescents des
comportements de consommation qui sont des facteurs
de convivialité au travers desquels se marquent
les valeurs sociales et culturelles d'une époque.
De nos jours, fumer apparâît chez l'adolescent
à la fois comme un facteur d'intégration
au groupe des pairs et comme une tentative d'inscription
dans le monde des adultes [1, 2].
À ce titre, la curiosité,
la pression du groupe des pairs, I'ennui, le stress,
I'obtention d'un état de relaxation et le plaisir,
I'image de soi et l'affirmation de soi, I'esprit de
rébellion sont souvent cités comme des
facteurs d'initiation et d'expérimentation du
tabac [2]. Dans ce contexte, des différences
sont retrouvées entre garçons et filles,
pouvant être expliquces par des facteurs socioculturels.
Ainsi, les filles qui fument sont-elles le plus souvent
décrites comme extraverties, sûres d'elles,
rebelles et socialement " habiles ", contrairement
aux garçons qui sont le plus souvent décrits
comme socialement " insécures ". Dans
le même ordre d'idée, des études
récentes soulignent le lien, chez les filles,
entre comportement alimentaire (régimes, prooccupations
centrées sur le poids et les formes corporelles)
et consommation de tabac [2].
Les facteurs psychosociaux
Influence du groupe des pairs et de la consommation
des parents
Des études longitudinales ont confirmé
l'influence du tabagisme des pairs sur la consommation
de tabac chez l'adolescent. Cette influence semble cependant
médiatisée par la capacité de l'adolescent
à refuser. Elle diminue par ailleurs au cours
de l'adolescence quand on tient compte du statut tabagique
initial du sujet. Autrement dit, si les comportements
tabagiques des pairs peuvent jouer un rôle dans
l'initiation et l'expérimentation du tabac chez
l'adolescent, leur influence apparaît moindre
dans le développement d'une consommation régulière
ou d'une dépendance [5, 7].
Plusieurs études ont également
souligné le rôle des comportements tabagiques
de la famille sur la consommation de tabac chez l'adolescent
: trois quarts des adolescents qui fument ont au moins
un parent qui fume. Cette influence semble cependant
varier aussi en fonction du sexe de l'adolescent, des
comportements tabagiques de son entourage amical, et
du statut socioprofessionnel des parents. Par ailleurs,
l'attitude des parents face au tabac aurait peu d'influence
sur la consommation des adolescents [2, 5, 7]. Selon
certains auteurs, l'idée que les adolescents
se font des comportements de leur entourage (famille,
enseignants, pairs) serait plus prédictive de
leurs comportements tabagiques que la consommation rcelle
des personnes de leur entourage [2, 5, 7].
Structure familiale et relations
avec les parents
Des études ont montré que l'expérimentation
du tabac chez les adolescents était plus *équente
et plus précoce dans les milieux défavorisés
(bas niveau socio-économique). De même,
le statut matrimonial des parents (divorce, familles
monoparentales ou reconstituées), I'existence
de conflits intrafamiliaux, et l'attitude éducative
des parents (familles "négligentes"
et peu "supportives") semblent avoir une influence
sur les comportements tabagiques de l'adolescent [2,
7].
Toutes ces données indiquent
que des facteurs liés à l'environnement
peuvent jouer un rôle dans la consommation de
tabac chez l'adolescent. La plupart des études
montrent cependant que ce sont surtout les attitudes
personnelles de l'adolescent, face au tabac et à
son environnement socio-familial, qui sont prédictives
de l'expérimentation et de sa consommation ultérieure
[5, 7].
Les facteurs psychopathologiques
Facteurs de personnalité et de tempérament
De nombreuses études soulignent le rôle
des variables tempéramentales et de personnalité
dans la consommation de substances psychoactives chez
l'adolescent. Un haut degré de recherche de nouveautés
et un faible évitement du danger seraient significativement
prédictifs d'une initiation précoce au
tabac, entre l'âge de 10 et 15 ans. De même,
une faible estime de soi apparaît prédictive
chez les filles d'une expérimentation précoce
et de la survenue d'un tabagisme ultérieur [3,
7].
Troubles mentaux
Toutes les études soulignent la fréquence
des troubles mentaux retrouvés chez les adolescents
présentant un abus ou une dépendance aux
substances psychoactives. Les troubles anxieux et, à
un moindre degré, les troubles dépressifs
semblent avoir une influence sur l'initiation au tabac
et sur la consommation régulière et accéléreraient
le passage à la dépendance. De même,
le trouble hyperactivité avec déficit
de l'attention, en particulier lorsqu'il s'associe à
d'autres troubles (trouble des conduites, dépression
ou troubles anxieux), serait prédictif d'une
initiation précoce et de la sévérité
de la dépendance. Si les relations entre tabagisme
et troubles mentaux restent discutées, ces données
plaident en faveur de l'hypothèse de l'automédication.
Dépendance : à la nicotine et troubles
mentaux pourraient aussi partager des facteurs de vulnérabilité
génétiques communs [2].
Les auteurs qui ont étudié
simultanément le rôle des facteurs psychopathologiques
(traits de personnalité, troubles mentaux) et
des facteurs psychosociaux (influence du groupe des
pairs et/ou de la famille) montrent que les facteurs
psychopathologiques sont plus prédictifs des
comportements tabagiques des adolescents que les facteurs
psychosociaux [7].
Les facteurs génétiques
Il est maintenant clairement démontré
que des facteurs génétiques interviennent
dans le métabolisme de la nicotine et dans le
déterminisme de la dépendance. Une étude
récente sur des jumeaux suggère que les
facteurs génétiques pourraient grandement
expliquer la variation des comportements tabagiques
observés chez l'adolescent [2].
CONSOMMATION DE TABAC ET TROUBLES
LIÉS À L'UTILISATION DE
L'ALCOOL ET DE DROGUES
Toutes les études soulignent
le lien entre l'usage du tabac et la consommation d'alcool
et de drogues, chez l'adolescent mais aussi déjà
chez l'enfant [1-3, 7] Surtout, toutes les études
montrent que la consommation précoce de tabac
est le facteur le plus prédictif de la survenue
d'un abus ou d'une dépendance à l'alcool
et/ou aux drogues à la fin de l'adolescence (encore
plus chez les filles que chez les garçons) [1,
7]. Il est difficile cependant de savoir si c'est la
précocité de la consommation ou sa durée
qui importe ici : la question se pose en effet des conséquences
sur les plans cognitif, affectif et social de cette
consommation précoce sur l'évolution ultérieure
des troubles [6, 7].
CONCLUSION
Après avoir diminué
dans les années 198O, I'usage du tabac tend de
nouveau à se répandre chez les adolescents
depuis 1990. Ainsi, malgré les mesures adoptées
pour limiter l'offre et les campagnes d'information
entreprises, la consommation de tabac chez les adolescents
apparaîtelle aujourd'hui plus importante (en particulier
chez les filles) et surtout plus précoce [2,
4, 5]. En fait, toutes ces donnces montrent bien que
les stratégies visant à modifier les attitudes
et les comportements des jeunes vis-àvis du tabac
doivent s'intégrer dans le cadre d'une action
globale de santé où l'enfant et l'adolescent
sont envisagés dans leur totalité et reliés
à leur environnement.
D. Bailly - Service de psychiatrie
de l'enfant et de l'adolescent, clinique Fontan, centre
hospitalier régional universitaire, 6, rue du
Pr Laguesse, 59037 Lille cedex, France
REFERENCES 1 Bailly D, Bailly-Lambin 1. Consommation
de substances et toxicomanie chez l'enfant et l'adolescent
: données épidémiologiques et stratogies
de prévention. Encycl Méd Chir (Elsevier,
Paris). Pédiatrie, 4-103-B-10. 1999 :8 p.
2 Moolchan ET, Ernst M, Henningfield JE. A review of
tobacco smoking in adolescents : treatment implications.
J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 2000, 39 : 682-93.
3 Mouren-Siméoni MC, Vantalon V. Les conduites
addictives aux substances licites et illicites chez
l'enfant. In : Bailly D, Venisse JL, Eds. Addictions
et psychiatrie. Paris : Masson; 1999. p. 91-106.
4 Kaminer Y. Adolescent substance abuse. A comprehensive
guide to theory and practice. New York : Plenum Medical
Book Company; 1994.
5 Perry LC, Staufacker MJ. Tobacco use. In : DiClemente
RJ, Hansen WB, Ponton LE, Eds. Handbook of adolescent
health risk behavior. New York : Plenum Press; 1996.
p. 53-81.
6 Vik PW, Brown SA, Myers MG. Adolescent substance use
problems. In : Mash EJ, Terdal LG, Eds. Assessment of
childhood disorders. New York : The Guilford Press;
1997. p. 717-48.
7 Ledoux S, Sizaret A, Hassler C, Choquet M. Consommation
de substances psychoactives à l'adolescence.
Revue des études de cohorte. Alcoologie Addictologie
2000; 22 : 19-40.
*GPSR : Groupement
des Pédiatres Strasbourgeois exerçant la Réanimation
Unité de Néo-Natalogie - Clinique Sainte Anne