La mort périnatale d'un enfant jumeau plonge
les parents dans un désarroi important. Elle
suscite aussi chez les professionnels une grande perplexité:
quels mots prononcer, quelle attitude adopter, quel
soutien apporter aux parents ?
Devant la détresse des parents, de nombreux soignants
ont encouragé ceux-ci à reporter leurs
espoirs et leurs attentions sur l'enfant vivant : cet
enfant devenait en quelque sorte un enfant consolateur,
voire un enfant réparateur du malheur lié
au décès de son co-jumeau. Parfois, les
soins, l'attention à prodiguer au jumeau vivant,
permettaient de ne pas évoquer la mort du jumeau.
provoquant chez les professionnels un véritable
évitement de la question du deuil de cet enfant.
Parfois aussi, on utilisait le nécessaire attachement
au jumeau vivant pour "aider" la mère
à penser à autre chose qu'au jumeau disparu
qui la hantait "n'y pensez plus, concentrez-vous
sur celui qui va bien, il a tellement besoin de vous".
Puis la vulgarisation des connaissances autour du deuil
a amené les soignants à prendre conscience
de la gravité et de la complexité de la
blessure que représentait la mort d'un enfant
en période périnatale. Ils se sont alors
souciés davantage encore de l'appui à
apporter à ces parents, au risque de les enfermer
dans un statut parfois exclusif de parents endeuillés.
Ce faisant, le risque était grand d'être
moins attentif à soutenir le lien naissant avec
le jumeau vivant. Parallèlement à ces
deux types d'attitudes que les soignants entretenaient
avec les parents du jumeau décédé,
il arrivait souvent alors qu'on pensât que les
liens avec le jumeau vivant s'instauraient facilement,
naturellement.
La mort périnatale d'un jumeau et l'accueil de
son co-jumeau soumettent les parents à des mouvements
psychiques extrêmement forts. Les parents. et
notamment la mère, sont dès lors dans
un état de conflictualité psychique très
complexe.
Nous voudrions proposer l'idée que le travail
des professionnels consisterait justement à ce
moment-là, à soutenir cette conflictualité,
afin d'aider à la fois, le processus de perte
et le processus d'attachement. À la fois, afin
qu'aucun de ces deux processus ne prévale, mais
qu'ils puissent, autant que faire se peut, se dérouler
ensemble, dans un va-et-vient permanent entre travail
de renoncement et travail d'attachement, entre mésestime
de soi et restauration de l'idée de ses compétences
parentales, entre sentiment d'insécurité
et rétablissement progressif d'un certain niveau
de sécurité intérieure.
Les parents qui perdent un jumeau en période
périnatale vivent une épreuve aussi douloureuse
que ceux qui perdent un enfant «singleton».
La bonne santé du jumeau vivant ne vient en aucun
cas atténuer ou compenser la gravité de
la perte et l'intensité du vécu de deuil.
On observe alors une réaction dépressive
intense, habituelle dans le cas de décès
d'un bébé. Et l'on sait maintenant que
les bébés de parents déprimés
risquent de présenter une vulnérabilité
psychologique particulière.
Le deuil présente cette particularité
de s'accompagner d'une perte d'intérêt
pour le monde extérieur, et de la difficulté
à choisir un nouvel objet d'amour. S'il ne faut
pas négliger l'importance du soutien apporté
à la mère par le père et par la
famille, on ne peut pas non plus mésestimer les
effets potentiels de cette forme singulière de
deuil qu'entraîne la mort périnatale :
blessure narcissique, trouble du sentiment d'estime
de soi, entrave au développement, sentiments
profonds de culpabilité pouvant confiner à
un vécu de mère meurtrière (quelle
que ce soit la cause de la mort, spontanée ou
pas). Le cortège de réactions dépressives
est lui aussi bien connu : tristesse, révolte,
anxiété, autoaccusations, perte de l'élan
vital. Sans oublier la possible réactivation
de deuils anciens non résolus.
Tandis qu'elle serre son jumeau vivant dans les bras,
la mère endeuillée peut être envahie
par ces sentiments, ces idées, ces fantasmes.
Le sentiment d'échec à maintenir ses deux
enfants en vie, peut être renforcé par
le chagrin de ne pouvoir être «tout entière
» à son enfant vivant. Tout en lui rappelle
l'enfant décédé. Chaque trait,
chaque expression, lui font prendre conscience du manque
de l'autre. Lorsqu'elle regarde le bébé,
qui voit-elle? A qui rêve-t-elle? Lorsqu'elle
le nourrit, à qui donne-t-elle le sein? Quelle
image l'envahit. quels regrets, quelle révolte
? Le trouble et la confusion dominent.
Le jumeau vivant sera toujours considéré
comme un jumeau par sa mère. Longtemps, elle
en verra deux là où il n'y en qu'un, avec
parfois des moments de confusion entre le bébé
décédé et le bébé
vivant, avec des comparaisons où l'enfant disparu
peut être idéalisé (comme le sont
la plupart des personnes disparues). Il arrive que la
mère éprouve de façon fugace du
ressentiment pour l'enfant vivant, expression de sa
révolte contre le décès de l'autre
jumeau (< pourquoi est-ce arrivé à
l'autre et pas à lui ? »). Souvent, elle
souffre de se sentir (de se penser) inadéquate
avec son jumeau vivant.
Cette rapide évocation montre combien il est
difficile pour la mère, préoccupée
par sa détresse, d'être tout entière
disponible psychiquement à son bébé
vivant.
Même si les soins de maternage sont donnés
avec affection et tendresse, ils se déroulent
dans un climat particulier. Il arrive que les interactions
soient appauvries, parfois un peu mécaniques,
que l'accordage émotionnel soit faible, que le
discours adressé au bébé soit pauvre.
De temps en temps, le jumeau vivant la tire de sa rêverie,
l'amène vers la vie, la réanime, elle
peut alors mieux entrer en lien avec lui pour ce qu'il
est, et non pour ce qu'il évoque.
Il ne faut pas sous-estimer à quel point le bébé
est un partenaire actif dans l'interaction. Selon son
tempérament. le jumeau vivant réagira
de façon plus ou moins vive à cette difficulté
maternelle il pourra stimuler sa mère, l'interpeller,
l'inciter à développer l'interaction.
Il pourra activement se rendre très présent,
très vivant, aider sa mère à sortir
de cette torpeur et de cette affliction. Il pourra parfois
développer des capacités adaptatives extraordinaires.
Il arrive néanmoins que l'énorme potentiel
de vie dégagé par le jumeau nouveauné,
ne suffise pas à l'instauration d'interactions
de bonne qualité avec les parents. Il arrive
aussi que le jumeau vivant, pour différentes
raisons (prématurité, petit poids., hypotonie,
etc.) soit en difficulté pour répondre
ou initier les interactions avec ses parents.
L'étayage proposé par les professionnels
de santé va s'avérer essentiel.
C'est en s'appuyant sur la comprehension empathique
des soignants que les parents pourront traverser ce
moment en utilisant au mieux leurs propres ressources,
individuelles et de couple.
L'attention portée par les soignants aux ressentis
complexes des parents, la qualité des soins prodigués,
de l'écoute apportée sont des appuis majeurs
pour les parents.
L'accompagnement par les soignants, au propre rythme
des parents, des mouvements psychiques violents et contradictoires
qui les envahissent, est un travail important et délicat.
dans ce moment d'effraction psychique. Aider les parents
à élaborer leurs propres contradictions
internes, à penser la situation dans toute sa
complexité, à identifier leurs affects
et leurs pensées contradictoires. Ils peuvent
ainsi vérifier progressivement, avec les soignants,
que tenir ces positions contradictoires est vivable,
qu'ils peuvent se sentir vivants, et vivants comme parents
de ces deux enfants-là: « Nous sommes là,
professionnels, à côté de vous,
parents. Nous sommes témoins de ce que vous traversez.
Peut-être vous sentez-vous à la fois fier
de vous, de votre enfant vivant, et à la fois,
un peu dévalorisés et insécurisés
par la mort de votre autre enfant ».
La capacité de tenir dans un même discours
cette double évocation s'inscrit dans une posture
intérieure subtile qui demande des ajustements
permanents, voire des vérifications auprès
des parents: "c'est bien cela que vous ressentez
en ce moment ?"
Cela nécessite une grande vigilance à
ne donner la primauté ni à la culpabilité
ni à la fierté, ni au chagrin ni à
la joie, mais à accompagner le va-et-vient régulier
entre ces deux types de ressentis. Comme s'il fallait
en quelque sorte, pour les soignants, faire en permanence.
un « grand écart psychique », entre
vie et mort, en essayant de ne pas basculer d'un côté
ou de l'autre du fil du rasoir.
Lorsque le cas se présente en anténatal,
certains parents ont un très fort besoin de se
protéger pour pouvoir poursuivre la grossesse
avec un minimum de sécurité intérieure.
L'évaluation régulière, avec eux,
de leurs besoins, de leurs demandes doit guider le suivi
des soignants. Certains parents désirent parler
des deux bébés, d'autres préfèrent
à ce moment là de la grossesse porter
leur attention sur le jumeau en bonne santé.
Certains souhaitent anticiper l'évolution de
la grossesse, d'autres au contraire ont besoin de s'en
protéger.
Quoiqu'il en soit, avant ou après la naissance,
être dans une certaine disponibilité intérieure
et une certaine proximité émotionnelle,
sans être envahi par les émotions de l'autre
n'est jamais facile pour les soignants, jamais définitivement
acquis. Cela demande un travail certain et constant
sur « la bonne distance émotionnelle »
à maintenir.
Les parents ont besoin que les professionnels soient
prêts à s'engager à être à
leurs côtés. Être à leurs
côtés pour témoigner de la complexité
de ce qu'ils vivent. Etre à leurs côtés
à la fois pour les aider à affronter la
mort de leur bébé et la fois pour les
aider à entrer en relation avec leur bébé
vivant. C'est dans la sécurité de ce lien
empathique avec les professionnels que les parents pourront
progressivement reprendre confiance en eux et retrouver
un certain niveau de sécurité intérieure.
C'est important pour eux, c'est important pour leur
jumeau vivant, et pour leurs autres enfants, nés
ou à naître.
L'arrivée de jumeaux dans une famille représente
une situation bien spécifique. Elle entraîne
pour les parents des difficultés psychosociales
variées, aussi bien sur le plan économique
et matériel qu'en ce qui concerne la lourdeur
des tâches de maternage, provoquant ce que certains
ont appelé le « stress des naissances multiples
». Par ailleurs, il existe des difficultés
éducatives et psychologiques directement liées
à la relation parent jumeaux, à la question
de l'individualisalion des jumeaux et du lien gémellaire.
En nous fondant sur les nombreux travaux publiés
sur les jumeaux et sur notre expérience clinique,
nous allons décrire les particularités
de la grossesse gémellaire, la période
périnatale et la première année
qui suit la naissance. Puis nous nous pencherons sur
la spécificité de la relation mère-jumeaux
et sur les difficultés qu'elle engendre pour
la mère. Nous aborderons enfin la problématique
de la construction de l'identité chez les jumeaux.
1. La grossesse et l'accouchement
La plupart des études évoquent la grossesse
gémellaire comme une épreuve marquée
de difficultés physiques et
psychologiques. Les complications médicales sont
plus fréquentes en cas de grossesse gémellaire.
Les hospitalisations prénatales sont souvent
mal vécues car elles provoquent la séparation
d'avec le conjoint et les autres enfants. En cas d'accouchement
par voie basse, le protocole médical est strict,
en raison des risques spécifiques liés
à l'accouchement gémellaire, et il ne
laisse pas toujours la place à la dimension psychologique
de la naissance. L'accouchement a également plus
de chance de se produire par césarienne. Les
conséquences maternelles immédiates de
la césarienne sont une convalescence plus longue
et des contacts et un maternage différés,
surtout si les enfants sont hospitalisés dans
un service de néonatologie.
2. L'hospitalisation des enfants
et le post-partum
Même si l'état de santé des bébés
n'est pas alarmant, être séparée
d'eux est toujours vécu douloureusement par la
mère. La séparation rend aussi plus difficile
des mécanismes d'attachement déjà
complexes. Il peut aussi arriver que l'un des enfants
soit hospitalisé, tandis que l'autre reste avec
sa mère. Cette séparation des jumeaux
complique encore le processus d'attachement et implique
des difficultés d'organisation et de gestion
du temps. Les résultats «études
sont cependant contradictoires certaines mères
s'attacheraient plus à l'enfant qui est rentré,
tout en se sentant coupables de laisser l'autre aux
soins des médecins, tandis que d'autres s'attacheraient
davantage à celui qu'elles considèrent
en danger au détriment de celui qui va bien.
Un point important dans les jours qui suivent la naissance
est la difficulté pour la mère à
reconnaître ses jumeaux, a fortiori s'ils sont
identiques. D'après notre expérience,
cette difficulté constitue souvent pour elle
une blessure narcissique parce que c'est une atteinte
à sa fonction de mère. Certaines mères
par exemple ne reconnaissent leurs enfants que de face
et quand les deux sont présents, d'autres ne
les reconnaissent pas quand ils sont endormis. Ces
phénomènes sont normaux au début
et disparaissent avec le temps.
3. Le retour à la maison
et la première année
Toutes les publications montrent que l'arrivée
de jumeaux dans une famille provoque des difficultés
économiques, sociales et psychologiques dans
les mois et les années qui suivent la naissance.
Elle provoque une surcharge de travail pour la mère
travail domestique et soins des bébés.
Par exemple Robin et al. ont observé qu'au retour
de la maternité les mères de jumeaux doivent
donner en moyenne 14 biberons par 24 heures. La quantité
de soins à consacrer aux enfants (repas, toilette,
changes, entretien du linge) est évaluée
en moyenne à 12 heures quotidiennes auxquelles
s'ajoutent les activités domestiques habituelles.
Cette surcharge de tâches est source de fatigue
physique et «nerveuse». La plupart des mères
doivent affronter une réalité qu'elles
n'avaient pas anticipée, surtout si elles sont
primipares.
Un des problèmes majeurs auquel la mère
est confrontée au début est de répondre
de façon adéquate à la demande
simultanée de deux enfants. La fatigue physique
et nerveuse et les tâches matérielles ne
lui facilitent pas la rencontre individuelle avec chacun
de ses enfants. L'ambivalence maternelle est, dans le
cas d'une naissance multiple, amplifiée par le
stress et la surcharge de travail, et son versant négatif
est exacerbé.
Même lorsqu'elle a la possibilité de passer
du temps avec l'un des jumeaux isolément, le
second est présent dans son psychisme, car elle
sait qu'elle devra bientôt s'en occuper et refaire
les mêmes gestes avec lui. Elle est donc partagée
et ne peut pas vivre la relation fusionnelle des premiers
mois avec chaque enfant. Ceci peut entraîner chez
elle des sentiments de frustration et de culpabilité.
Dans une étude sur 200 familles de jumeaux, Robin
et Casati ont constaté qu'un quart des mères
avaient un vécu dépressif au cours des
premiers mois. Thorpe et al. ont observé qu'à
cinq ans les mères dejumeaux avaient trois fois
plus de risque que les mères de singletons de
souffrir de dépression. La dépression
a sans doute des origines multiples, telles que la fatigue,
le stress, le renoncement à une relation dyadique
idéalisée et la difficulté à
trouver sa place de mère.
La souffrance psychique et la fatigue des mères
pourraient également accroître le risque
de maltraitance. Informations et soutien psychosocial
doivent donc être prodigués aux familles.
4. Les relations mere-jumeaux
dans la première année
Les travaux de Zazzo ont insisté sur la nécessité
de «dégémelliser» et d'éviter
l'"autosuffisance" du couple gémellaire.
Plus les parents consacreront de temps à chacun
séparément, plus ils faciliteront leur
autonomie future. Moins ils auront réussi
à leur donner de l'amour individuellement, plus
le groupe sera soudé. Les jumeaux créeront
une relation de couple qui modèlera la personnalité
de l'un vis-à-vis de l'autre et les rendra autosuffisants.
Plus les jumeaux sont soudés, plus ils sont différents
dans une savante répartition des tâches,
avec par exemple « un ministre des affaires extérieures
et un ministre des affaires intérieures ».
C'est ce que Zazzo a appelé le « paradoxe
des jumeaux".
Au cours de la première année, Robin et
al. ont décrit chez les mères des comportements
différents dont les deux pôles extrêmes
seraient la collectivisation ou « gémellisation
précoce » d'une part et l'individualisation
d'autre part. Dans le premier cas, les jumeaux sont
traités comme une entité. Dans l'autre
cas, la mère cherche à tout prix à
établir une relation individualisée. Entre
ces deux extrêmes, il y a des attitudes intermédiaires.
L'attitude qui consiste à « collectiviser
» serait plus fréquente chez les mères
fatiguées ou déprimées. D'après
notre expérience, dans les mois qui suivent la
naissance nous avons le sentiment que la mère
ne peut investir ses jumeaux que collectivement. On
observe d'ailleurs très fréquemment des
conduites égalitaristes des parents de jumeaux
qui les poussent à doubler leurs attitudes par
peur de donner moins de temps, moins de jeux, moins
de mots à l'un qu'à l'autre. L'individualisation
ne viendrait que plus tard.
5. Les relations des enfants
entre eux
Dans les légendes ou les mythes, le lien gémellaire
apparaît souvent comme un lien excessif: soit
comme un amour très fort, indissoluble et souvent
idéalisé, soit comme asymétrique
et destructeur pour l'un des jumeaux.
Certains parents vont vouloir préserver à
tout prix le lien gémellaire qui renvoie à
une notion d'amour fusionnel. Ce lien appelé
par certains « cordon gémellaire »
est d'une extrême richesse lorsqu'il n'isole pas
des autres. Le psychisme de chaque jumeau va se construire
avec cette donnée là. Certains parents
donnent l'impression de vouloir renforcer ce lien entre
les enfants comme pour compenser ce que Alby a décrit
comme une « carence maternelle de fait ».
Les résultats d'une étude de Robin illustrent
l'importance de ce lien. Elle a en effet observé
que les parents qui favorisent de courtes séparations
pendant les premières années n'ont pas
pour autant des enfants plus indépendants l'un
par rapport à l'autre. Être toujours
ensemble n'entraînerait donc pas forcément
une perte d'autonomie ; l'indépendance vis-à-vis
du co-jumeau pourrait aussi s'acquérir à
partir de la base sécurisante que constituerait
sa présence permanente pendant la petite enfance.
À coté de cet aspect « positif »
du lien gémellaire, on a décrit des relations
marquées par la « dominance »
d'un jumeau par rapport à l'autre. Elles
sont souvent considérées comme négatives
par les parents car révélatrices dune
asymétrie s'opposant à leurs préoccupations
égalitaristes. Cependant, dans la prime enfance,
la répartition des rôles n'est pas identique
dans toutes les situations et n'est pas établie
dc façon définitive. Dans notre expérience,
une agressivité on une dominance trop grande
entre les jumeaux sont en général à
entendre comme un signal d'alarme avertissant que l'ouverture
du couple gémellaire vers l'extérieur
est insuffisante.
Zazzo examinant les facteurs enjeu dans la formation
de la personnalité des jumeaux a décrit,
outre les facteurs genetiques et environnementaux, un
troisième facteur qu'il nomme « effet-de-couple
». La situation gémellaire définit
une structure de couple qui modèle la personnalité.
Pour lui, la personnalité des jumeaux se forme
et se transforme dans et par le couple. Il a observé
que ce qui est vrai d'un couple de jumeaux l'est pour
tout autre couple.
6. Conclusion
Les études montrent les difficultés matérielles
et psychologiques rencontrées par les mères
de jumeaux et la complexité de la relation mère-jumeaux.
Le développement harmonieux des enfants au sein
du couple gémellaire et l'acquisition de leur
identité passent par des attitudes parentales
qui favorisent leur individualisation. Il est important
que les différents intervenants qui prennent
en charge ces familles connaissent les problèmes
qu'elles peuvent rencontrer. Il est aussi essentiel
d'améliorer la façon dont elles sont aidées
par nos institutions, en particulier sur le plan matériel,
pour soulager la charge de travail et le stress des
mères dans les premiers mois. Il faudrait aussi
faciliter l'aide psychologique dans le cadre de consultations
spécialisées pour enfants multiples. comme
il en existe déjà, pour soutenir les mères
et prévenir les troubles de la relation mère
enfants. Une sensibilisation des parents à a
spécificité du couple gémellaire
et au besoin d'individualisation des enfants pourrait
y être favorisée.
M.Garel, E.Charlemaine, N.Blondel
Inserm U149, 15 avenue Paul Vaillant
Couturier-94807-villejuif et Consultation d'enfants
multiples, maternité Port-Royal, pavillon Valancourt,
123 boulevard Port-royal, 75014-Paris
Article publié dans Archives
de pédiatrie, Editions elsevier, 2004.03.069
Lorsqu'une grossesse
s'annonce multiple, c'est une aventure hors du commun
qui démarre. Il y a aujourd'hui en France de
plus en plus de naissances de jumeaux;il s'agit donc
d'établir un état des problèmes
rencontrés afin de répondre au mieux,
matériellement et psychologiquement, à
ces familles.
Cela peut paraître paradoxal, mais une femme enceinte
de triplés est tellement sensibilisée
qu'elle anticipe son retour à la maison, alors
qu'une maman de jumeaux vivant un événement
quasi commun ne s'imagine pas la quantité de
travail et il n'est pas rare qu'elle soit désemparée
lors de son retour à la maison.
Il y a eu en 1997, 10 500 naissances de jumeaux, soit
1,43 % des naissances, et ce chiffre ne cesse d'augmenter.
Voici trois réactions recueillies par une association
Jumeaux et plus auprès de ses adhérents,
celle d'un médecin, d'une mère et d'un
père. Ces témoignages en disent long.
- Plutôt froide et peu loquace, la femme médecin
annonce sans aucun ménagement: "J'en vois
3 à droite". Le père quitta la salle
d'examen avec sa fille de 17 mois, avant de savoir combien
elle pouvait en "voir à gauche". Quant
à sa secrétaire, se voulant rassurante:
"De toute fa,con, vous pourrez toujours faire une
réduction embryonnaire." Les futurs parents
étaient abasourdis.
-"Après l'échographie m'apprenant
que j'attendais des vrais jumeaux, j'étais si
heureuse que j'ai embrassé la première
personne qui passait dans la rue".
-"11 va falloir acheter une nouvelle voiture"
L'effet de surprise
Pour tous les parents, quels que soient
le contexte et l'histoire du couple, apprendre qu'il
y a deux ou trois bébés dans le ventre
de la maman est une surprise. Une surprise de taille,
bonne ou moins bonne selon les personnes.
La surprise est là et les questions affluent.
"Qu'est-ce qui m'arrive ? " "Génial,
on va en avoir deux d'un coup!" "Comment vais-je
m'en sortir?" ou "Je ne vais jamais y arriver"...
Tout bascule, nous sommes deux, nous serons quatre,
ou nous sommes trois, nous serons cinq! C'est le grand
chamboulement, psychologiquement et matériellement;
il va falloir tout assurer, tout assumer pour deux ou
trois bébés. Les parents devront à
la fois préparer l'autonomie de leurs enfants
vis-à-vis d'eux mais aussi avec leurs frères
et surs, d'essayer d'avoir une relation individuelle
avec chacun.
C'est pourquoi les parents de jumeaux et de triplés
ont décidé de se regrouper au sein de
l'association Jumeaux et plus. Ils peuvent avoir des
échanges avec d'autres parents de multiples qui
ont un parcours semblable, s'enrichir de l'expérience
de l'autre. Ces moments feront d'autant plus sentir
leur nocessité à certaines étapes
de la vie de la famille, lors de périodes clé
comme l'entrée à la crèche ou à
l'école ou à propos de questions comme
l'allaitement, le langage, la séparation...
Profiter
Tant que les enfants ne sont pas nés, il faut
en profiter. Rien ne sera plus comme avant, alors il
s'agit de savourer le présent. A deux si ce sont
les aînés ou en famille, se divertir, faire
le plein de ballades, de ciné, de restaurants,
faire le plein de ce que l'on aime et surtout de repos.
Le repos évite la prématurité.
Chaque jour gagné pour les bébés
est profitable. Aucun appareil ne remplace le ventre
de la mère. Nous essayons de sensibiliser les
familles sur les risques d'une grossesse multiple. Le
choix de la maternité est important pour un bon
suivi et aussi pour un accueil compétent dans
un établissement possédant le matériel
nocessaire en cas naissances prématurées.
La prise en charge des enfants se fera alors sur place
et évitera bien d'autres soucis. A ce titre,
aux côtés du corps médical, certaines
associations Jumeaux et plus participent aux réunions
d'informations destinées aux futurs parents de
jumeaux dans les maternités spécialisées.
Organiser
Ce temps de la grossesse est aussi le temps de l'organisation.
Tout ce qui peut être fait avant sera grandement
profitable et soulagera les parents en temps voulu.
Quoi par exemple ? Côté administratif il
y a beaucoup a faire. Auprès de l'employeur du
père et de celui de la mère pour le congé
de paternité et pour le congé de maternité.
A partir de janvier 2002, le congé paternel pour
une naissance devient de 15 jours au lieu de trois jours
actuellement. Cependant, rien n'est spécifié
en cas de naissances multiples; à négocier
donc au cas par cas avec son employeur. Contacter sa
mutuelle est important, car dans certains cas une prime
de naissance est accordée. Certaines villes ou
départements accordent une allocation spécifique
en cas de naissances multiples, le tout est de la demander
à temps. Les prestations familiales seront aussi
les bienvenues, la grossesse doit être déclarée
avant la fin de la 14e semaine.
Avant l'arrivée des bébés
à la maison, il est bon de prévoir une
aide à domicile. Une travailleuse familiale pourra
intervenir dans la famille et soulager la maman tant
dans les opérations ménagères qu'auprès
des enfants. Cette aide est à envisager vers
le 7e mois de grossesse, les besoins devront être
bien définis au départ avec l'organisme
de façon à bénéficier d'une
prestation bien adaptée. Notons que ce type d'aide
est accordé avant la naissance en cas de difficulté
spécifique ou sur prescription médicale,
que s'il n'y a pas d'enfant au foyer c'est une aide
ménagère qui intervient et participe alors
uniquement aux tâches ménagères:
courses, repassage, ménage quotidien, préparation
des repas... L'aide ménagère ou la travailleuse
familiale interviennent en journée (huit heures)
ou en demi-journée (quatre heures) selon les
besoins. La famille participe financièrement
en fonction de son quotient familial et de ses ressources.
Les parents doivent prévoir
très tôt le mode de garde, l'Allocation
Parentale d'Education étant la même si
l'on élève 1, 2 ou 3 bébés,
la majorité des mamans retravaillent. A la différence
des autres familles, les enfants sont très rarement
gardés par une assistante maternelle ("nourrice"),
car il y a rarement deux places disponibles simultanément.
Les familles vont choisir la garde à domicile
ou la crèche. Les inscriptions en crèches
sont à faire avant la naissance des enfants de
façon à être certain d'avoir des
places, tout comme l'inscription en halte-garderie
qui, elle, se fait juste après la naissance.
Dans certaines communes, les multiples sont prioritaires
tant en crèche qu'en garderie, il est important
d'être bien renseigné, mais aussi de ne
pas hésiter à prendre son crayon et écrire
au maire en cas de blocage.
Préparer son retour à
la maison
1. - Quelques chiffres
Lors du premier mois les jumeaux, demandent entre 360
et 480 biberons/tétées et 420 à
480 couches. Pour les triplés, il faut compter
dans le premier mois entre 540 et 720 biberons/tétées
et 630 à 720 couches. Tenir un cahier ou avoir
un tableau sur lequel tout sera noté, consigné
enfant par enfant, car il arrive que les parents ne
sachent plus qui a bu à telle heure ou a pris
tel médicament. I1 n'est pas rare de ne plus
savoir où l'on en est... La fatigue est là
et tout moment de repos possible doit être pris,
même vingt minutes de sommeil sont réparatrices.
Côté pratique aussi, il est plus simple
d'attribuer à chaque enfant ses biberons, à
chacun sa couleur, par exemple, et de ne pas changer.
Ce sera aussi pratique pour les autres personnes qui
s'occuperont des enfants.
En ce qui concerne les nuits, se faire aider par des
élèves infirmières est une bonne
chose et moins onéreuse qu'une garde de nuit.
C'est une idée de cadeau de naissance ! Et dans
la mesure du possible, savoir gérer les visites
qui n'en finissent pas et deviennent vite envahissantes.
2. - Garder son calme et sa sérénité
Etre enceinte de jumeaux n'est pas anodin. Et comme
toute femme enccinte, une future maman de jumeaux est
susceptible, sensible, peut être irritable et
souvent inquiète. n est fréquent pour
ces femmes d'être très rondes (vers 6 ou
7 mois elles sont physiquement au même stade qu'une
femme enceinte d'un enfant à terme), voire impressionnantes,
et d'entendre "Oh! la la! Qu'est-ce qu'il est gros
votre ventre! C'est pour bientôt?" Alors
qu'il reste encore plus de deux mois de grossesse. Ou
"Ton ventre est bien descendu depuis la sernaine
dernière! Tout
va bien ? " Dans ce genre de situation, la solution
est d'être rassurée par une personne d'autorité,
sage-femme ou gynocologue.
Garder confiance en soi, faire pour le mieux comme on
le pense et ne pas se laisser démonter par l'entourage
n'est pas forcément facile. "L'extérieur"
pense que les biberons sont l'épreuve la plus
dure pour les parents; en réalité, c'est
une fatigue physique. Par contre, quand les enfants
auront 18 mois-2 ans, la fatigue est à la fois
physique et morale. Les jumeaux peuvent vider une bibliothèque
5 fois en une heure, ils demandent une grande surveillance
dans les jardins, la rue... les mamans sont beaucoup
plus épuisées et surtout incomprises.
Consciente de ce problème et pour répondre
à une certaine demande et aider les parents de
multiples au quotidien, I'association Jumeaux et plus
de Paris à mis en place une permanence de soutien
psychologique hebdomadaire. Les parents peuvent poser
leurs questions par téléphone ou prendre
rendez-vous auprès d'une psychologue. Les petits
soucis de tous les jours peuvent être résolus
facilement et rapidement. Cette permanence remporte
un beau succès.
3. - Et le couple dans tout ça
?
L'arrivée de deux ou trois bébés
dans un foyer bouleverse la vie du couple qui brutalement
va tout centrer sur ces "nouveaux venus".
Dans le meilleur des cas, les parents mettront quatre
mois pour retrouver la forme, cela peut être beaucoup
plus long et c'est souvent le cas. Le sommeil et l'alimentation
des bébés y sont pour beaucoup. D'où
l'importance d'être aidé. Se retrouver
à deux, en amoureux, pour une simple ballade,
une petite sortie et discuter entre adultes devient
compliqué mais s'avère essentiel pour
le couple. Il s'agit donc de penser à la grand-mère,
la cousine, l'amie ou toute personne de l'entourage
à qui les enfants pourront être confiés
pour quelques heures et savoir accepter toute aide proposée.
4. - Le matériel de puériculture
Côté matériel, comme pour une naissance
unique, le minimum est à prévoir à
l'avance. Lits, baignoire, vêtements, biberons,
transats, poussettes... sont les objets courants. Nous
conseillons beaucoup d'avoir un "maxi-cosi"
par enfant. Comme tout doit être prévu
en double, l'achat d'occasion ou à bons prix
s'impose afin de ne pas faire exploser le budget. Petites
annonces, bourses aux vêtements et autres braderies
aident beaucoup; le bouche à oreille et la location
aussi. D'autant que le matériel représente
une dépense à un moment donné alors
que le consommable revient quotidiennement. Couches
et lait maternisé sont un gros budget.
Il est important de préciser
que l'Allocation Pour Jeune Enfant (APJE) est versée
pendant la grossesse à partir du 5e mois et jusqu'aux
trois ans de l'enfant, mais si les bébés
naissent prématurément, les parents perdent
2 ou 3 mois de prestations (soit 1009 F par enfant et
par mois), alors qu'ils ont plus de charges qu'une autre
famille. D'autre part, I'APJE n'est versée pendant
la grossesse que pour un enfant, car la mention jumeaux
n'existe pas sur la feuille de déclaration de
grossesse. Un seul enfant est considéré
et le second le sera après la naissance. Une
mise à jour de ces feuilles de déclaration
serait profitable et nécessaire afin d'identifier
ces grossesses à risques le plus tôt possible.
Le choix de la poussette est un choix réfléchi.
Passera-t-elle dans l'ascenseur, est-elle facile à
plier, rentre-t-elle dans le coffre de la voiture...
toutes les questions doivent être posées
afin de faire le bon choix. A Paris, une famille sur
deux à des difficultés pour sortir de
chez elle: pas d'ascenseur ou taille trop petite. Il
en résulte un isolement des mamans. Avez-vous
déjà vu une femme avec deux bébés
en kangourou ou descendant les escaliers du métro
avec une poussette double ?
5.- Du bonheur,beaucoup de bonheur!
Magie du début, observer ses deux bébés
à la maternité, se retourner et en voir
deux, est-ce possible ? Ils sont à nous ! Il
reste toujours un côté magique, fantastique,
irréel et fascinant. S'ils sont en couveuse,
l'effet est le même, ces petits êtres là
étaient dans le même giron et ils vont
grandir avec nous. Beaucoup de rires, de cris de joie,
une complicité particulière sont aussi
le quotidien d'une famille de jumeaux. Lorsqu'ils commencent
à crapahuter à quatre pattes à
travers toute la maison où lorsqu'ils se mettent
debout pour la première fois dans leur lit et
découvrent leur frère ou sur juste
à côté et
éclatent de rire sont des moments inoubliables.
Les familles de multiples divorcent moins que les autres
familles, le père a un rôle important,
il est forcément investi auprès de ses
enfants et dans le fonctionnement de la maison. Le père
est amené à faire du maternage au début;
le couple se soutient, il est renforcé. Il est
fréquent que les parents de multiples se fassent
arrêter dans la rue, la très longue ou
très large poussette interpelle. "C'est
à vous tout ,ca ?!! " ou "Qu'ils sont
beaux, ce sont des vrais ?" ou "Comment vous
faites, ,ca doit être fatiguant!"
Selon les jours, ces propos agacent ou amusent, toujours
estil que cela dure assez longtemps, jusqu'à
l'abandon de la poussette; les jumeaux passent alors
plus inaperçus. Petit à petit les enfants
grandissent et nous, parents, tendons à oublier
leur gémellité; avant tout, nous sommes
parents de deux ou trois enfan
N.s.: La loi de finance 2002 pour
la Sécurité sociale adoptée par
l'Assemblée nationale début décembre
2001 porte le congé paternel à 18 jours
+ 3 jours en cas de naissance multiple, soit trois semaines
(11 jours + 3 jours pour un singleton).
PAPIERNIK E., PONS J.C. Les grossesses multiples, Editions
Doin.
PAPIERNIK E., ZAZO R., PONS J.C., ROBIN M. Jumeaux,
triplés et plus, Editions Nathan.
ZAZO R. Les jumeaux, le couple et la personne, Editions
RU.F.
COLLIN C. Tout ce que VOUS voulez savoir sur les jumeaux,
Editions Mango